Chroniques de l’urgence

Un monde inassurable

d'Lëtzebuerger Land du 28.06.2019

Pour les grandes compagnies d’assurance et de réassurance, le dérèglement climatique est un sujet qui fâche : elles ne l’évoquent qu’en rendant compte à leurs actionnaires des indemnisations versées suites à des événements extrêmes causés par le réchauffement. Munich Re, le premier réassureur mondial, a prévenu en mars dernier que si les primes augmentent autant à l’avenir que le suggèrent ses modèles, en réponse à l’explosion des indemnisations de dommages causés par ces extrêmes, de nombreux citoyens ne pourront plus s’assurer.

Les incendies qui ont frappé la Californie l’an dernier lui ont coûté 24 milliards de dollars. Paradise, une ville de près de 30 000 habitants, a été presqu’entièrement calcinée. Interrogé par le Guardian, le responsable pour le climat de Munich Re, Ernst Rauch, a reconnu en mars que des discussions sont déjà en cours pour réévaluer les primes des clients du groupe fortement exposés dans les régions de la Californie vulnérables aux incendies.

« Si le risque des incendies, des inondations, des tempêtes ou de la grêle augmente, la seule option soutenable que nous ayons est d’ajuster nos primes de risque en conséquence. À la longue, cela pourrait devenir un problème social. Le fait que les primes soient abordables (« affordability ») est si critique parce que des gens aux revenus bas ou moyens dans certaines régions ne seront plus en mesure de se payer une assurance », a-t-il expliqué.

L’absence de couverture constitue d’abord un péril pour les citoyens concernés parce qu’elle les met à la merci du moindre aléa. Mais une couverture lacunaire fragilise aussi la société dans son ensemble et entrave le fonctionnement de l’économie. Les dégâts causés par les événements climatiques extrêmes relèveront de plus en plus de l’irréparable, par exemple si un ouragan dévastateur rendait Miami Beach inhabitable. Alors que les dommages causés par les inondations étaient évalués en 2015 à six milliards de dollars pour 136 grandes villes littorales, ce chiffre passe à mille milliards en 2050 hors mesures d’adaptation, selon une étude publiée en 2013 dans Nature.

Les compagnies d’assurance ont traditionnellement été prudentes en matière d’attribution. Mais dans son rapport pour l’exercice 2018, Munich Re indique avoir comparé les données observées sur plusieurs décennies avec les modèles climatiques et avoir conclu que les incendies ayant embrasé la Californie en 2018 et tué 85 personnes « sont plus ou moins cohérents avec le changement climatique ». Le langage reste prudent : les assureurs y vont à reculons. S’ils jouaient cartes sur table, ils reconnaîtraient que leur modèle d’affaires prend l’eau et que tôt ou tard, le monde ne sera plus assurable. Leur ultime recours sera alors de se retourner contre ceux qui ont, sciemment et significativement, contribué à cette situation, les grands groupes pétroliers… sauf qu’ils y ont investi une part non négligeable de leurs réserves.

Jean Lasar
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