Chroniques de l’urgence

L’hors-norme ne fait pas long feu

d'Lëtzebuerger Land vom 23.09.2022

Les moussons hors-norme qui ont dévasté le Pakistan ont créé une situation humanitaire aiguë, avec quelque 1 400 morts, 33 millions de personnes directement affectées (un quart de la population du pays), dont un grand nombre ont dû fuir pour se mettre l’abri : environ deux millions de maisons et édifices commerciaux, 7 000 kilomètres de routes et 500 ponts ont été détruits. Après avoir parcouru les régions dévastées par les flots (la zone touchée a la même superficie que le Royaume-Uni), António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a dit depuis Karachi, le 10 septembre, n’avoir « jamais vu un tel carnage climatique ». Les dégâts sont estimés à trente milliards de dollars. Difficile d’imaginer une situation plus injuste alors que le Pakistan n’a causé qu’une part très limitée des émissions de gaz à effet de serre qui ont directement causé ce déluge.

Branle-bas de combat dans le monde donc pour venir en aide aux Pakistanais, avec unes des journaux occupées par des appels à l’aide, émissions spéciales de levées de fonds sur les chaînes de télévision, appels solennels à mettre fin à notre addiction aux énergies fossiles ? António Guterres a beau évoquer un « suicide collectif », c’est un sujet autrement plus important, la mort d’une reine, qui prend le dessus et relègue la situation au Pakistan dans les entrefilets.

Autre exemple, la sécheresse qui s’est abattue sur la Chine cet été, bien qu’elle aussi rigoureusement hors-normes, n’a pas fait long feu non plus dans médias. Fin août, les médias annonçaient que les autorités chinoises avaient déclaré une alerte à l’échelle nationale en réponse aux conséquences drastiques des étiages affectant de grands fleuves qui réduisent la production d’hydroélectricité, interrompent la navigation et contraignant de grandes entreprises comme Tesla, Foxconn ou Toyota à interrompre leurs opérations. Le Yang-Tsé, troisième fleuve mondial, qui alimente 400 millions de Chinois en eau potable, est lui aussi sévèrement touché. Les autorités chinoises relient ces phénomènes au changement climatique et annoncent, sans sourciller, relancer des centrales au charbon pour pallier le manque d’hydroélectricité. Case cochée pour les médias, passons à autre chose.

Même si nous choisissons de nous cantonner à l’Europe, les incendies et canicules qui ont fait souffrir des millions de personnes et sévèrement dévasté des récoltes, entre autres impacts, disparaissent des grilles d’actualité dès que les foyers sont maîtrisés ou après la première averse, comme s’il suffisait que le plus dur d’une crise soit surmonté pour que l’on puisse, la conscience tranquille, se consacrer à autre chose. Dans le maëlstrom de l’actualité, un sujet chasse l’autre au mépris de toute hiérarchie en phase avec les impératifs d’une survie de l’espèce. De la menace existentielle au futile, la boulimie informationnelle se nourrit de manière indifférenciée, et les consommateurs des flux informationnels jouent à saute-moutons entre toutes les rubriques sans états d’âme.

Jean Lasar
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