Opérateurs alternatifs

L'hypermarché

d'Lëtzebuerger Land vom 29.06.2000

Des opérateurs alternatifs entrés sur le marché luxembourgeois depuis le 1er juin 1998, Tele2 n'était pas seulement le premier mais est surtout le plus connu auprès du grand public. Une fois de plus, les équipes de Tango ont démontré leurs talents dans le marketing.

Jean-Claude Bintz, le père du deuxième réseau GSM au Luxembourg, peut dès lors se montrer satisfait. Deux ans après son lancement, Tango clame une part de marché de quarante pour cent, Tele2 Luxembourg annonce 20 000 clients utilisant le service en moyenne cent minutes par mois, et l'offre du groupe vient d'être complétée par le lancement du portail everyday.com combiné au accès Internet le moins cher du Grand-Duché. 

S'y ajoute que les promesses du groupe lors de la demande de la licence GSM ont été tenues. Millicom, la Société européenne de communication (SEC) et les autres filiales du conglomérat suédois Invik/Kinnevik emploient aujourd'hui plus de 440 personnes au Luxembourg. Tango est de même devenu le centre de compétence en communications mobiles du groupe en Europe. Pour Jean-Claude Bintz, l'expérience a aussi eu des retombées positives puisqu'il a été promu « Executive Vice President » de SEC. Son poste chez Tango a été repris par Pascal Koster, un ancien du projet GSM de Cegedel.

Il n'en est pas moins que Tele2 est une de ces sociétés qu'on a du mal à prendre au sérieux chez les P[&]T. Tele2 ne dispose pas de réseau de télécommunication et n'a pas l'ambition d'en poser. Le plan d'affaires repose au contraire sur l'idée de profiter des surcapacités que présentent aujourd'hui les infrastructures existantes pour acheter au prix bas des minutes de téléphonie en gros pour les revendre à une clientèle résidentielle. S'y ajoute que l'approche de Tele2 varie de marché à marché. Ici, c'est la vente directe de communications moins chères que celles de l'opérateur traditionnel - dans les prix pratiqués au Luxembourg, être moins cher que les P[&]T semble d'ailleurs être le seul paramètre objectif. Là, c'est le least cost routing, c'est-à-dire que la société se contente d'indiquer aux clients lequel des autres opérateurs est actuellement le moins chers. Les marges sont minimes, mais : « Kleinvieh macht auch Mist. »

Cette stratégie qui vise d'abord à élargir sa base de clientèle plutôt que de veiller à sa profitabilité fait toutefois aussi que SEC traîne comme un boulet le reproche qu'à moyen terme la société se retirera de toute façon du marché en vendant au prix fort les contrats conclus d'ici là.

À part le fait que Jean-Claude Bintz réfute cet argument, la situation de SEC au Luxembourg n'est pas tout à fait comparable. D'abord à cause du siège du groupe qui se trouve au Grand-Duché. Ensuite à cause de sociétés comme Mach (clearing d'appels de portables) ou Transac (clearing de cartes de crédit) le couple Millicom/SEC est actif dans des mé-tiers hautement spécialisés. Enfin en ce qui concerne la présence sur le marché luxembourgeois.

Grâce au réseau GSM Tango, SEC est en fait un opérateur on ne peut plus traditionnel. Côté « fabrique », Tango n'a rien à envier à LuxGSM. Et si on compare les deux, ce serait aujourd'hui plutôt LuxGSM qui en sortirait désavantagé. Avec 94 000 abonnés fin mai, Tango est une véritable success story - abstraction faite de son système de facturation. Le deuxième réseau GSM est depuis peu bénéficiaire net, c'est-à-dire à même de payer aussi bien ses frais que ses amortissements. En 1999, les revenus s'élevaient à 1,1 milliard de francs. Les investissements de 1,8 milliard devraient être couverts au début 2001, deux ans plus tôt que prévu. Ceci notamment grâce à un nombre de clients plus élevé, des revenus de roaming - qui peuvent monter selon les mois jusqu'à trente pour cent du total - plus importants, mais aussi une maîtrise des frais de la société. Elle emploie ainsi aujourd'hui 66 personnes contre 64 au lancement de Tango.

Si les effectifs restent stables, les services offerts s'élargissent. Les mêmes personnes sont ainsi en charge du service d'appels internationaux Te-le2 Luxembourg. Le 13 juin 2000, le groupe a de même lancé la version luxembourgeoise de everyday.com. Ce site portail offre toute une série de services comme le courrier électronique gratuit, l'envoi de messages SMS ou encore le chat. Il est combiné à l'accès Internet le moins cher du pays, fourni par Tele2, à un franc la minute en journée et cinquante centimes le soir. Les marges sont à nouveau minimes mais les moyens pour la mise en oeuvre sont, grâce aux synergies, aussi limités. En premier lieu il s'agit d'agrandir sa base de clients, de leur offrir un service complet et de les fidéliser. 

Avec l'ensemble de leurs services, Tango et Tele2 sont en concurrence directe avec les P[&]T. Ce qui les différencie des autres opérateurs est le marché qu'ils visent. Alors que les Global One, GTS et KPN s'adressent à une clientèle d'entreprises, Tele2 vise sans ambiguïté le marché résidentiel. Une spécialisation incontournable puisque les structures internes nécessaires à une telle approche ne sont pas comparables. 

Avec l'entrée en vigueur, au 1er juillet, de la portabilité des numéros d'appel au changement d'opérateur et la possibilité de configurer d'avance le choix de l'opérateur pour les appels internationaux, Tele2 va sans doute doubler d'agressivité sur le marché. Cette fois-ci  les PME seront aussi visées. À l'aide du réseau hertzien qui lie les différentes stations du réseau Tango, Tele2 peut en effet offrir à ce type de clientèle une solution qui leur permet de devenir largement indépendant du réseau des P[&]T. Il suffit de poser une antenne sur le toit du bâtiment en question et de mettre en place une connexion avec une station du réseau Tango. À la clef se trouvent des tarifs pour les appels internationaux encore plus avantageux que l'offre standard de Tele2. 

En visant le marché résidentiel, Tele2 a forcé les P[&]T de ne pas seulement baisser ses prix pour les gros clients mais aussi pour les particuliers. En ce sens, l'offre de Tele2 ne profite pas seulement à ses propres clients mais aussi à ceux qui sont restés fidèles aux P[&]T. Ce qui est en fin de compte l'objectif du libre jeu de la concurrence.

 

Jean-Lou Siweck
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