Chronique Internet

Google courbe l’échine en Chine

d'Lëtzebuerger Land du 21.09.2018

Google a développé le prototype d’un moteur de recherche pour mobiles taillé sur mesure pour le marché chinois, s’inclinant ce faisant devant les exigences de censure et de flicage digital des autorités chinoises, selon le site The Intercept. L’information n’a été ni commentée ni démentie par Google. The Intercept, qui met en avant le fait que les recherches effectuées à l’aide de ce moteur, baptisé Dragonfly, sont automatiquement reliées au numéro de portable de la personne effectuant la recherche, indique par ailleurs qu’au moins cinq employés de Google ont choisi de quitter l’entreprise pour protester contre ce qu’elles considèrent comme une dérive dangereuse.

Le moteur de recherche s’est longtemps enorgueilli de ne pas céder aux demandes de Pékin en matière de contrôle en ligne, avec son slogan officieux « don’t be evil », reformulé en « do the right thing » lors de la création de la holding Alphabet en 2015. Des informations circulaient depuis quelque temps sur une inflexion de cette approche qui permettrait à Google de s’attaquer directement à l’énorme marché chinois. Si les informations de The Intercept sur Dragonfly se confirment, on pourra sans doute dire qu’il ne lui reste pas grand chose de son noble positionnement initial.

Dragonfly consisterait à bloquer les recherches sur des thèmes jugés sensibles par les autorités chinoises : dissidents politiques, liberté d’expression, démocratie, droits de l’Homme ou manifestations pacifiques, avec l’exclusion de mots-clé comme « protestations étudiantes » ou « prix Nobel » en mandarin. Le moteur de recherche Dragonfly serait opéré par une joint-venture basée en Chine, ce qui laisse à penser que les autorités chinoises n’auraient pas beaucoup de mal à mettre la main sur les données collectées ou à actualiser selon leur bon vouloir la liste des termes à bloquer ou à surveiller.

Au-delà de la censure, un tel moteur de recherche stockerait de telles requêtes, qui seraient dès lors accessibles aux services de renseignement chinois et leur permettraient d’identifier les personnes s’intéressant à ces thèmes. Au vu du triste état des droits de l’Homme en Chine, il ne semble guère faire de doute que ces services se serviraient sans hésiter de tels renseignements pour arrêter et interroger les personnes ainsi identifiées. Citée par The Intercept, Cynthia Wong, de l’ONG Human Rights Watch, s’inquiète que cela permette « un traçage et un profilage beaucoup plus détaillés du comportement des gens » et que « relier des recherches à un numéro de téléphone rendrait beaucoup plus difficile pour les gens d’éviter le type de surveillance abusive qui est omniprésente en Chine ».

Parmi les informations triturées par Dragonfly, il y a celles sur la météo et la pollution en Chine : celles-ci seraient systématiquement fournies par une source gouvernementale chinoise. Une façon magique de faire disparaître les informations sur les particules dangereuses pour la santé, ou du moins de les minimiser et littéralement « enfumer » les internautes chinois sur l’état de l’air dans leur région. Jack Poulson, un des employés de Google qui a préféré démissionner plutôt que participer à l’élaboration de Dragonfly, à écrit à l’état-major de Google qu’il voyait « notre intention de capituler face aux exigences de censure et de surveillance en échange de l’accès au marché chinois comme un abandon de nos valeurs et de notre position de négociation à l’égard des gouvernements dans le monde entier ».

Ce ne sont pas que les Chinois qui vont souffrir de cette inflexion de la politique de Google, qui, faute de démenti, semble avérée. C’est aussi une mauvaise nouvelle pour les internautes occidentaux, qui vont devoir redoubler de vigilance pour préserver leurs droits et leurs libertés dans l’univers numérique. Avec Google qui s’incline devant Pékin, se munir d’un robuste VPN (réseau virtuel privé) et crypter ses communications relève désormais de l’indispensable kit de survie online.

Jean Lasar
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