Un an et deux mois après un premier tome très remarqué, le duo Xavier Dorison/Félix Delep est de retour en librairie avec un nouvel et excellent opus du Château des animaux

Les animaux et leur résistance pacifique

d'Lëtzebuerger Land vom 08.01.2021

L’an dernier les lecteurs découvraient la nouvelle série de Xavier Dorison – scénariste du Troisième Testament, W.E.S.T., Long John Silver, Undertaker, Comment faire fortune en juin 40 ou encore Aristophania –, Le Château des animaux. Le titre, d’entrée, laissait peu de doute sur son inspiration orwellienne. Dorison rend d’ailleurs hommage à George Orwell et son œuvre dans la préface de son livre. Pour cette nouvelle tétralogie, l’auteur a imaginé un huis-clos animalier dans la France profonde de l’entre deux guerres. Dans une basse-cour entourée de murs d’enceinte, tourelles, herse, etc, les humains ont déserté. Ils existent encore, pas bien loin d’ailleurs, puisque certains animaux font du commerce avec eux, mais ils ne s’occupent plus ni de près ni de loin ce qui se déroule entre ces murs.

Une situation surprenante mais qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’a pas libéré les animaux du joug d’une espère dominante. Les cochons ont les premiers pris le pouvoir sur tous les autres, délogés ensuite par Silvio, énorme taureau noir à la musculature digne des plus grandes bêtes lancées dans les arènes lors des grandes corridas. Avec l’aide d’une meute de chiens et de quelques autres animaux bien heureux de jouir de quelques petits privilèges, il a imposé à tous les habitants du château une dictature basée sur la force physique, la violence, l’obéissance aveugle, le travail forcé jusqu’à épuisement… pendant que lui et sa cour se vautrent dans le luxe, avec bains de Champagne et repas gargantuesques.

Officiellement, Silvio se présente comme le sauveur des animaux ; après tout c’est lui qui a délogé les cochons et qui, depuis, les défend contre les attaques des loups. Enfin, ça, c’est lui qui le dit, et rares sont ceux qui mettent en doute la version officielle. Ceux qui le font, le payent de toutes façons rapidement de leur vie.

La venue d’Azélar, un rat artiste – mis à l’amende par la milice à cause de son spectacle que les chiens considèrent comme subversif – va changer la donne. L’étranger prône la résistance à l’injustice, mais pacifique. Pour lui c’est clair, la violence n’engendre que violence. Il parvient à convaincre Miss Bengalore, une petite chatte blanche veuve qui fait tout son possible pour survivre et donner assez de nourriture à ses deux chatons, et son voisin lapin, César, de mener une lutte d’un nouveau genre, par la désobéissance et le rire. Le premier tome s’achève après quelques victoires symbolique de cette nouvelle résistance qui donne à tous les opprimés un nouvel espoir.

Dans le deuxième tome, sorti en novembre, la neige a recouvert les environs et les animaux de la basse-cour doivent désormais lutter contre la faim et l’épuisement, mais également contre le froid. D’autant plus que le bois est la propriété exclusive du despote qui seul fixe son prix. Les habitants sont surveillés de plus en plus près, car le pouvoir n’aime pas trop les marguerites peintes ci-et-là, ni le seau avec un bovin dessiné sur lequel les animaux tapent désormais pour se défouler. Les voilà obligés de porter un collier avec des grelots. Miss B. et César sont rejoints dans leur lutte par de nombreuses autres petites bêtes dont certains ne rêvent que de vengeance. Du coup, la non-violence du mouvement va être mise à mal.

Derrière cette histoire animalière on trouve un sens politique évident. Il y a du Gandhi dans Azélar, du Mussolini dans Silvio – malgré le prénom rappelant plutôt Berlusconi –, du camp de concentration dans le château, du procès de Moscou dans le twist final de ce deuxième tome… Les inspirations sont nombreuses, riches, pertinentes. Elles font de cette histoire une diatribe contre les régimes despotiques, mais aussi contre les discours populistes de plus en plus présents dans nos démocraties.

Le récit propose un long crescendo, bien rythmé et accrocheur sans oublier une suite de personnages hauts en couleurs apportant chacun sa pierre à l’édifice narratif. Le série on ne peut plus sombre ne tombe jamais dans la glauque. Au contraire, l’espoir surgit peu à peu, et des pointes d’humour font même leur apparition ci-et-là.

Une force rare doublé par un dessin animalier de toute beauté – on le compare à celui de Blacksad de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido –, aux corps et gueules ultra-expressifs, aux décors travaillés jusqu’au moindre détail signés Félix Delep, jeune dessinateur pour qui Le Château des animaux est la première expérience professionnelle. Bien plus qu’un coup d’essai, un coup de maître..

Le Château des animaux, t2, Les Marguerites de l’hiver de Dorison et Delep. Casterman. ISBN : 978-2-203-17250-0

Pablo Chimienti
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