John Stezaker au Mudam

Hybridations

d'Lëtzebuerger Land vom 22.07.2011

Le Mudam consacre en ce moment l’une de ses expositions à John Stezaker, artiste anglais né en 1949, qui récupère des photographies en noir et blanc de stars hollywoodiennes et des cartes postales anciennes pour en faire des œuvres d’art. L’exposition, co-organisée avec la Whitechapel Gallery à Londres, rassemble des œuvres de la fin des années 1970 à aujourd’hui. L’intervention que l’artiste opère sur les photographies et cartes postales trouvées ou achetées est minimale, voire minimaliste : inversion haut-bas, découpe et recadrage, collage de deux photographies ou d’une photographie et d’une carte postale.

Untitled (de 1977), l’une des premières œuvres de Stezaker, est une photographie réalisée initialement pour la publicité du film Irrwege der Liebe (de 1939) de Robert Leonard que l’artiste expose en l’accrochant à l’envers. Alors que la photographie originale montre un homme au piano et une femme qui se reflète dans la surface du piano, la version que Stezaker propose nous fait voir le reflet comme personne réelle, alors que l’homme au piano et la femme semblent avoir les yeux fermés. L’idée peut paraître simple et n’est pas sans rappeler celle de Marcel Duchamp qui décide que le seul acte d’exposer un urinoir dans un musée en fait une œuvre d’art. Bien que l’effet obtenu par Duchamp en 1917 fût plus fort et que l’idée du ready-made soit révolue, la force visuelle de l’image de Stezaker reste frappante. Avec son œuvre, l’artiste nous propose une nouvelle perspective, c’est-à-dire une nouvelle lecture des choses et du monde qui nous entourent.

Il en est de même pour la série Marriage. Des portraits en noir et blanc d’acteurs hollywoodiens du milieu du XXe siècle sont coupés en deux et l’une des parties est juxtaposée à celle d’une autre star, du sexe opposé. John Stezaker obtient par là des propositions inattendues, une hybridation, parfois bizarre, entre homme et femme. Ces androgynes nous paraissent familiers – on devine à qui l’une ou l’autre partie de la tête appartient – tout en restant étranges du fait de la défiguration du visage. Dans les œuvres Tabula Rasa, un rectangle est découpé dans une photographie ancienne. Cette photographie trouée est ensuite collée sur du papier blanc. Le vide blanc ainsi créé renvoie à l’écran blanc du cinéma, dont Stezaker tire la plupart de ses images, ou encore au désir des dadaïstes à faire table rase avec l’art et la politique dans leurs œuvres. Les images de la série The Third Person Archive (commencée en 1976), dont le titre évoque le film Le troisième homme (de 1949) de Carol Reed, sont toutes de taille minuscule. L’artiste expose des détails d’une photographie montrant une personne dans un paysage urbain. Le corps aussi petit et perdu dans son entourage paraît comme un fantôme parcourant les rues.

Avec son procédé, John Stezaker s’inscrit tout droit dans la ligne du photomontage et du collage que des artistes comme Max Ernst, Joseph Cornell, John Baldessari, John Heartfield, Hannah Höch ou Martha Rosler ont largement explorés au cours du XXe siècle. Ce qui intéresse cependant Stezaker, c’est la recherche de formes qui s’intègrent l’une dans l’autre, mais qui renvoient en même temps à une rupture dans l’unité. Cette association de formes devient notamment visible dans sa série Mask, où une photographie en noir et blanc d’un ou de deux acteurs est recouverte d’une carte postale. Le visage est ainsi remplacé par la nature, en l’occurrence une caverne, un fleuve ou des montagnes.

L’image Blind I (de 2006) est obtenue par un simple découpage de la zone des yeux dans un portrait en noir et blanc. Ici encore, Stezaker réussit à créer une image forte avec une intervention artistique minimale. D’autres séries d’œuvres sont moins surprenantes. Pour la série Sublime, Stezaker recadre des photographies de trains à vapeur et présente des images de nuages de vapeur. Une autre série inspirée de trains anciens est celle des Lost Tracks. Deux photographies de train sont découpées et juxtaposées, les seuls éléments qui restent présents dans l’ensemble sont les roues et les rails. Contrairement à Sublime, la ligne qui se crée dans les images de Lost Tracks a une force dynamique et renvoie le spectateur à la symétrie du reflet. Les thèmes du double, du masque ou de l’hybride servent à l’artiste afin de dévoiler les apparences. La beauté ne se retrouve pas forcément dans le train, mais aussi dans les rails ou la vapeur qui, fugitive, se fond dans le ciel.

Au-delà de l’identité et de la vérité, les œuvres de John Stezaker remettent aussi en question les droits d’auteur d’une image et l’usage qu’un artiste fait de photographies, c’est-à-dire d’œuvres déjà existantes. On peut en effet se demander quelle est la place des photographies anciennes dans notre société actuelle où prédomine la photographie digitale. Doit-on les préserver et conserver ou peut-on les destiner au recyclage artistique ?

L’exposition John Stezaker dure jusqu’au 11 septembre 2011 au Mudam Luxembourg, ouvert du mercredi au vendredi de 11 à 20 heures et du samedi au lundi de 11 à 18 heures ; informations : www.mudam.lu.
Florence Thurmes
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