Cinéma

Y'a pas mort

d'Lëtzebuerger Land du 27.07.2012

D’elle, on ne saisit au début que ces regards, au mieux surpris, bien souvent dédaigneux ou offusqués. Elle existe d’abord pour les autres. Mais déjà, Xavier Dolan l’a sacralisé, en un rituel plan moyen de dos au ralenti. Les cheveux au vent sont une promesse pour plus tard : quand on découvre Laurence (Melvil Poupaud), c’est un jeune homme fougueux, prof de littérature et dingue, oui, un peu dingue en vrai, de sa copine Fred (Suzanne Clément), une trentenaire enthousiaste, féminine ce qu’il faut, les cheveux aussi rouges que cette passion qui les anime. On est à la fin des années 1980, on ne parle pas encore des « bobos », mais ils en sont les précurseurs, épaulettes en sus et arrogance en moins. Et puis d’un coup, Laurence n’en peut plus, il sort sa vérité comme si c’était une question de vie ou de mort, d’ailleurs ne dit-il pas « je vais mourir ! », tout consumé qu’il est de ne pas se sentir à sa place ?
Laurence veut devenir une femme, mais ce n’est pas le sujet du film. Laurence anyways, le troisième long-métrage du canadien Xavier Dolan, reste sur le même constat que ses précédents films : l’amour est impossible le détachement, cruel. Si dans J’ai tué ma mère, il interrogeait les contours de l’amour filial, dans Les amours imaginaires, c’était le triangle aussi passionnel que platonique, ici, ça partait pourtant bien. Mais comment Fred peut elle accepter que celui qu’elle aime n’a jamais existé que dans l’imposture ? C’est à partir de là que le film se divise en deux chemins, celui emprunté par Fred, de l’accompagnement au lâcher prise, et celui de Laurence et son rapport au monde. Le jeune cinéaste s’amuse des extrêmes qu’il crée : il ne filme pas Laurence en transformiste mais homme transcendé : pas de perruques ni de vulgarité, au contraire de sa nouvelle bande d’amis, mise en abyme de la caricature. Son évolution est cohérente, son propos, son rapport respectueux mais sans hommage aux femmes (Fred, mais aussi sa mère, interprétée avec la retenue qu’il fallait par Nathalie Baye) est clair et renforce sa démarche. L’histoire du sexe en lui même n’intéresse qu’à peine Dolan, qui, finalement, ne fait pas grand cas de la question de l’identité non plus.
Car voilà où il ne faut pas se tromper : si son scénario tient la route et aborde de nombreux thèmes de la transsexualité, de la distance sujette à interprétation de la normalité à la marginalité, comme il l’affirme, Laurence anyways n’est pas un film militant. Xavier Dolan est d’abord là pour faire de l’image. Et il le fait bien. Reprochons lui ses tics, ses travellings de suivis parfois anecdotiques, ses allusions visuelles de rebelle sans cause, même ses mises au point hasardeuses. Mais sa grandiloquence et son manque de modestie donnent à voir des plans magnifiques, techniquement ambitieux et riches d’émotions contradictoires, tout comme sa mise en scène, qui se rapproche cette fois davantage des personnages, lui accordant une maturité jusque-là incertaine. Il est aussi aidé par ce duo complémentaire Melvil Poupaud-Suzanne Clément (la comédienne a d’ailleurs été récompensée au dernier festival de Cannes), qui ont pris possession de Laurence et Fred avec toute la subtilité qu’ils réclamaient.

Marylène Andrin
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