Moldavie 

Le désir de l’Ouest

d'Lëtzebuerger Land du 30.09.2022

Il lui aura fallu trois heures de route depuis Chisinau, la capitale de la République de Moldavie, jusqu’à Giurgiulesti, village situé à la frontière avec la Roumanie. Et cela fait plus de six heures que Rodion Ceban, 28 ans, attend de franchir cette frontière qui sépare l’Union européenne (UE) de l’ancien espace soviétique. Une file d’attente de quelques centaines de camions s’étend sur plusieurs kilomètres. Il lui faudra encore plusieurs heures avant d’atteindre la frontière. Direction Aubervilliers, banlieue située au nord de Paris où son frère a trouvé du travail. « Je suis certain qu’un jour mon pays intégrera l’Union européenne et que tout ira mieux, mais je n’ai pas de temps à perdre, dit-il. Il me reste encore 2 500 kilomètres à faire mais la distance ne me fait pas peur. C’est l’attente à la frontière qui me rend fou. Une fois de l’autre côté, c’est bon, je suis dans l’UE. »

Située entre l’Ukraine attaquée par l’armée russe, et la Roumanie, membre de l’OTAN et de l’UE, la Moldavie s’est vue attribuer le 23 juin le statut de pays candidat à l’UE par le Conseil européen. Sa future adhésion au bloc communautaire rassure ce pays menacé par les visées expansionnistes de la Fédération de Russie, mais l’attente sera longue. De plus en plus de Moldaves prennent la route vers l’Ouest à la recherche d’une vie meilleure loin de la guerre qui secoue l’Ukraine voisine. Selon une étude rendue publique en août dernier par le Fonds des Nations Unies pour la population, plus de quinze pour cent des 3,5 millions de Moldaves souhaitent émigrer en Europe. « Les salaires de l’Ouest ne sont plus le principal point d’attraction pour les jeunes Moldaves, déclare Eduard Mihalas, auteur de cette étude. L’émigration est motivée par la qualité des services, le système de santé, les infrastructures et le système scolaire. Ce sont surtout les jeunes qui veulent partir. »

La guerre en Ukraine a accéléré cette vague migratoire. L’offensive menée par la Russie est aussi un problème pour les exportations moldaves. Avant les attaques de l’armée russe contre l’Ukraine, la Moldavie destinait une grande partie de ses exportations aux anciennes républiques soviétiques qui étaient ses partenaires à l’époque de l’URSS, mais la guerre a changé la donne. Les Moldaves se sont tournés vers l’Ouest et leurs exportations agricoles ont changé de destination. Mais passer à travers les rouages douaniers de la frontière roumano-moldave prend du temps. « Un escargot pourrait passer cette frontière plus vite que nous, se plaint Stefan Dulca au volant de son camion chargé de fruits et de légumes à destination de l’Allemagne. Ça n’avance pas et je crains pour mes produits. »

De l’autre côté de la frontière c’est Galati, port roumain situé à l’embouchure du delta du Danube. Puis il faut traverser la Roumanie d’est en ouest, passer la frontière roumano-hongroise pour pouvoir pénétrer dans l’espace Schengen, enfin traverser l’Autriche pour atteindre l’Allemagne. « Nos livraisons ont trop de retard, explique Ion Ionas, directeur de la société d’exportation Ionex-Trans de Costesti, village situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Chisinau. Nous avons cinq jours pour transporter nos produits périssables en Allemagne, mais en ce moment il faut compter huit à neuf jours. C’est catastrophique. »

Même son de cloche aux autres passages de la frontière roumano-moldave. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le nombre des camions qui transportent des produits agricoles depuis la Moldavie jusqu’en Europe de l’Ouest via la Roumanie a augmenté de 73 pour cent selon le service moldave des douanes. Giurgiulesti est la douane la plus fréquentée avec une hausse de la circulation de camions de 395 pour cent par rapport à la même période l’année dernière.

L’embouteillage des exportations à la frontière roumano-moldave est également aggravé du fait de l’incompatibilité des réseaux ferroviaires des deux pays, ce qui limite le transport par trains. La Russie a imposé aux anciennes républiques soviétiques un écartement des rails de 1,52 mètres alors que la norme européenne est de 1,435 mètres. Moscou avait prévu dès l’origine une norme différente afin d’empêcher le trafic ferroviaire vers les pays européens. Un calcul politique qui s’explique par le désir de l’ancienne URSS de s’isoler et d’avoir le contrôle des transports dans sa sphère d’influence.

Depuis la chute de l’ex-URSS en 1991 la Moldavie a peu à peu tourné le dos à Moscou et privilégié l’Ouest. « Nous avons choisi l’intégration dans l’Union européenne qui offrira aux Moldaves plus de prospérité et d’opportunités, a déclaré Maia Sandu, la présidente moldave, le 23 juin, grâce au feu vert donné par le Conseil européen. Nous avons devant nous un chemin compliqué à parcourir. Il faudra faire beaucoup d’efforts, mais nous sommes prêts à travailler pour assurer à nos citoyens un avenir meilleur. » La perspective de l’adhésion à l’UE rassure les Moldaves, mais les jeunes, à l’instar de Rodion Ceban, ont choisi d’aller plus vite.

Mirel Bran
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