Les migrations ont chuté d’un tiers dans le monde en 2020 à cause de la pandémie.
L’OCDE détaille les chiffres et les conséquences budgétaires de l’immigration

Les flux migratoires à la baisse

d'Lëtzebuerger Land vom 12.11.2021

À cause des restrictions de déplacements prises depuis le début de la pandémie, les flux migratoires se sont effondrés en 2020, mais sans doute moins qu’attendu. Suffisamment en tout cas pour que l’OCDE considère dans sa version 2021 des Perspectives des migrations internationales, publiées fin octobre, « qu’une grande partie des progrès accomplis ces dix dernières années en matière d’intégration des immigrés ont été anéantis en un an ». Les flux d’immigration permanente dans les pays de l’OCDE ont baissé de plus de trente pour cent en 2020, pour s’établir à environ 3,7 millions de personnes, soit le niveau le plus bas depuis 2003. Toutes les catégories de flux ont connu une baisse, les migrations familiales affichant le recul le plus marqué (-36 pour cent). Mais elles constituent toujours plus du tiers du total.

Également très affectées, les migrations liées au travail, qui ont baissé d’un quart. Tous les pays ont été touchés, notamment l’Australie et les États-Unis (-37 pour cent), le Canada (-43 pour cent), la Corée du sud (-57 pour cent) et le Japon (-66 pour cent). Certaines catégories de flux, comme les personnes mutées au sein d’une même société, ont beaucoup régressé (-53 pour cent) tandis que les flux de travailleurs agricoles saisonniers n’ont reculé que de dix pour cent et ont même légèrement augmenté dans les principaux pays de destination de ces ouvriers, comme les États-Unis et la Pologne, et que les déplacements intra-UE (au titre de la libre circulation) ont enregistré une diminution, somme toute limitée, de 17 pour cent. Quant aux déplacements pour études, ils ont chuté de quarante pour cent en moyenne dans les pays européens de l’OCDE et de 70 pour cent aux États-Unis et au Canada.

Les flux migratoires pour raisons humanitaires ont également été très perturbés, en particulier en direction des États-Unis et du Canada. Le nombre de nouvelles demandes d’asile dans les pays de l’OCDE a reculé de 31 pour cent en 2020, soit la baisse la plus marquée depuis la crise des Balkans au début des années 1990. Toutefois, le nombre total est resté supérieur à celui qu’il était avant 2014. Pour la deuxième année consécutive, le Venezuela a été le principal pays d’origine des demandeurs d’asile, suivi par l’Afghanistan et la Syrie. Seuls 34 400 réfugiés ont été réinstallés en 2020, un chiffre inférieur de deux tiers à celui de 2019 et le plus bas jamais enregistré.

Selon le rapport de l’organisation basée à Paris, les personnes nées à l’étranger ont été très touchées par les conséquences économiques de la crise sanitaire, car elles sont globalement moins qualifiées que les natifs et évoluent plus souvent dans des secteurs touchés par les confinements et autres restrictions. Leur taux d’emploi a reculé dans près de deux pays de l’OCDE sur trois et, en moyenne, il est (avec 66,1 pour cent) inférieur de 1,8 point à celui des personnes nées dans le pays. L’écart s’est aussi creusé en matière de taux de chômage ; celui des immigrés a augmenté dans trois pays sur quatre et s’établit désormais à dix  pour cent contre 6,6 pour cent chez les natifs. L’impact de la crise sur cette catégorie de population a été contenu dans les pays qui ont déployé de vastes dispositifs de maintien dans l’emploi ou qui ont enregistré d’importants flux de départs.

La plupart ont eu recours à des mesures provisoires pour atténuer les effets de la pandémie, en facilitant l’entrée de travailleurs essentiels tels que le personnel de santé et les travailleurs agricoles saisonniers, en permettant aux étudiants étrangers de retarder leurs études ou de commencer une formation en ligne, ou en limitant les retours des immigrés touchés par la crise. Malgré tout, les immigrés originaires d’Amérique latine et du Moyen-Orient ont été plus durement touchés que les autres groupes.

Malgré les craintes de l’OCDE, les stratégies d’intégration ont moins souffert que prévu de la pandémie. Dans les nombreux pays où existent des obligations en matière d’intégration, elles ont été assouplies ou les délais prolongés. Des mesures de soutien aux immigrés vulnérables ont été prises, en particulier pour garantir leur accès aux soins, tandis qu’étaient mis en œuvre ou renforcés des plans pour lutter contre les discriminations à l’égard de personnes perçues comme étant issues de l’immigration. Par ailleurs, la pandémie a favorisé l’utilisation d’outils numériques pour les programmes d’intégration, notamment l’apprentissage de la langue du pays d’accueil et l’information des populations venues de l’étranger.

Comme elle le fait chaque année depuis 2013, l’OCDE a établi une sorte de « bilan budgétaire » des travailleurs immigrés en comparant les recettes fiscales et sociales qu’ils procurent et les dépenses publiques qu’ils occasionnent. Un calcul a été fait sur 25 pays en 2018. La contribution des immigrés sous forme d’impôts directs et indirects et de cotisations sociales s’est élevée à 2 550 milliards de dollars. Les dépenses consacrées à leur santé, à leur éducation et à leur protection sociale ont atteint 2 000 milliards, soit un surplus de 550 milliards environ.

Le rapport présente pour les mêmes pays une comparaison de la contribution budgétaire des immigrés et des natifs en pourcentage du PIB du pays d’accueil, sur la période 2006-2018 (calculs en moyenne annuelle). En ne retenant dans les dépenses, comme dans le calcul précédent, que les coûts directs « individualisables » liés à la santé, à la protection sociale et à l’éducation, les immigrés affichaient une contribution positive moyenne de 1,56 pour cent du PIB contre huit pour cent pour les natifs, soit un rapport de un à cinq environ, mais avec de grandes différences selon les pays. En France et aux États-Unis la contribution positive était d’un pour cent seulement, alors qu’elle s’élevait à 1,38 pour cent en Belgique, à 1,54 pour cent en Allemagne et à deux pour cent au Royaume-Uni. Elle était supérieure à la moyenne dans dix pays.

C’est aux États-Unis et au Royaume-Uni qu’elle était relativement la plus proche de la contribution des natifs : elle n’y était respectivement que deux fois et deux fois et demi inférieure (contre six fois en Allemagne, neuf fois en France et dix fois en Belgique). Dans tous les cas le Luxembourg a fait figure d’exception (lire encadré). À noter que l’ancienneté de l’immigration, et donc l’âge de la population immigrée, a une incidence sur les résultats : en effet, les personnes âgées ne contribuent pas dans la même mesure à l’économie que les immigrés d’âge actif. En tenant compte des coûts indirects à caractère collectif (affectation des dépenses d’infrastructures notamment) la contribution des immigrés était en revanche négative (-0,16 pour cent du PIB), n’affichant un chiffre positif que dans sept pays seulement dont le Luxembourg, la Norvège, l’Italie et le Royaume-Uni. Cela dit elle était encore plus négative pour les natifs (-2,93 pour cent) avec seulement deux pays en positif. Dans les deux cas les déficits publics accumulés sur la période 2006-2018 expliquent la situation.

Mieux intégrer les immigrés peut donc avoir une incidence budgétaire favorable. Par exemple selon le rapport, le simple fait de combler l’écart d’emploi entre les immigrés d’âge actif et les personnes nées dans le pays, de même âge et de même niveau d’études, pourrait accroître la contribution budgétaire nette totale des immigrés de plus d’un tiers de point de PIB dans un pays de l’OCDE sur trois..

L’exception luxembourgeoise

Au Grand-Duché, selon les chiffres de l’OCDE, la population est constituée pour 48 pour cent de personnes nées à l’étranger (dont un quart au Portugal). Leur nombre a connu une augmentation de 53 pour cent en dix ans. Leur contribution budgétaire a atteint le niveau exceptionnel de 7,64 pour cent du PIB, cinq fois plus que la moyenne de l’OCDE sur la période 2006-2018. Le pays classé deuxième, l’Australie, n’affiche que 3,46 pour cent. Le Luxembourg est aussi le seul pays (sur 25) où la contribution des immigrés est supérieure à celle des natifs (4,47 pour cent seulement). Après affectation des coûts indirects, la contribution reste positive de 2,81 pour cent (meilleur chiffre des 25 pays étudiés) alors que celle des natifs est négative de 3,92 pour cent. Comme ses voisins les Pays-Bas et la Belgique, le Luxembourg n’a enregistré qu’une baisse relativement modeste des entrées permanentes en 2020 (-15,5 pour cent). Il a accueilli 19 100 personnes contre 22 600 en 2019, année record, et retrouve le niveau de 2014.

Concentration

Le rapport de l’OCDE met l’accent sur un phénomène lourd de conséquences économiques et sociales. Dans tous les pays de l’organisation, les immigrés sont concentrés dans certaines zones, en particulier dans les quartiers et communes pauvres en périphérie des grandes métropoles. Les effets sur l’intégration sont complexes. Il y a généralement de meilleures perspectives d’emploi en zone urbaine. Mais cette concentration nuit à l’acquisition de la langue du pays d’accueil et à la scolarité des enfants. Dans la plupart des pays européens de l’OCDE, la concentration d’enfants d’immigrés dans certaines écoles est associée à un moins bon niveau d’instruction. En Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France, en Grèce, aux Pays-Bas et en Suède, « ce handicap équivaut à plus d’une année de scolarité en moins ».

Il semble également que la ségrégation résidentielle ait des effets plus négatifs sur les femmes que sur les hommes. Pour plusieurs raisons leur taux d’emploi est très inférieur à celui des « natives ». Or elles représentent plus de la moitié de la population immigrée « en place » alors que les hommes sont majoritaires dans les flux annuels (56 pour cent en 2019) sauf en Australie et aux États-Unis.

Georges Canto
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