Absolutely fabulous

Gazon maudit

d'Lëtzebuerger Land du 21.04.2005

Cela commence très fort: les deux danseurs Stefano Spinelli et Étienne Fanteguzzi viennent de l'arrière de la salle des spectateurs et traversent les travées latérales en courant et en tenant à bout de bras un énorme drapeau luxembourgeois qui, ainsi étalé, glisse sur les têtes du public. Arrivés sur scène sur un fond sonore et une image de foule en liesse dans un stade, ils découvrent le tour de magie : sous le gigantesque drapeau, il y avait un nounours blanc de taille humaine. La mascotte se met à se trémousser, la danse commence. Bienvenue dans l'univers des dieux du stade.Absolutely fabulous, la troisième chorégraphie de la jeune Sylvia Camarda - son premier spectacle à plusieurs danseurs -, est une pièce sur le football. Un monde de mecs, de vrais, vu par une jeune femme… qui adore le football pour tout ce qu'il représente : la foule, les grands sentiments, la corporalité, l'affrontement entre deux équipes. Elle y associe des souvenirs d'enfance, lorsque, à Differdange, elle en jouait avec ses petits copains dans la rue. Or, la préparation du spectacle, avec entre autres quelques jours d'observation passés avec le club de football de Genk en Belgique, auront été pour elle comme une démystification, elle fut déçue de voir ces hommes si peu maîtres de leurs corps - et leur seul intérêt pour le fric. Le spectacle souffre de ce trop plein d'associations et d'idées qui foisonnent de tous les côtés, qui ne sont pas toujours très bien articulées : le racisme, l'obsession de l'argent, l'omniprésence des sponsors, la starisation des idoles du football, leur élévation au rang de mythe, le rôle des femmes-objets un peu pétasses qui veulent surtout leur Beckham à elles… cela fait beaucoup de thèmes à la fois. Qu'elle n'arrive pas toujours à articuler par la danse, et a donc recours à des artifices comme l'utilisation de la parole, qui gêne le spectacle. À l'opposé, c'est quand elle transpose des observations très justes sur le monde du foot par les moyens propres à la la danse que la chorégraphe réussit le mieux. Comme ces saynètes faites de postures typiques au foot montrées au ralenti, comme des clichés, des corps pris dans le feu de l'action, comme des photos. Ou les scènes d'échauffement, les corps à corps entre deux ou trois danseurs. Si le gazon sur lequel va se jouer une partie peut parfois sembler béni, il y a aussi des jours où le ballon peut devenir un ennemi - la danse de Sylvia Camarda avec un ballon accroché à un élastique qui tantôt devient une arme, tantôt un boulet est assez représentative de cette dualité. Et elle est impressionnante pour son engagement physique. Absolutely fabulous est un spectacle qui pousse les danseurs jusqu'à leurs limites physiques - comme un match de foot où il aurait fallu jouer les prolongements. Ils y incarnent la collégialité et l'adversité, les fans ivres et les affrontements primitifs entre deux équipes adverses, le match et les soirées, les nettoyeurs du terrain et les managers corrompus… De la toute jeune nouvelle garde des chorégraphes luxembourgeois (Weis, Baumgarten, Putz, Celestino...), Sylvia Camarda est la plus physique, la plus intense aussi. Perfectionniste, elle est aussi athlète et demande visiblement le même don de soi à ses danseurs. La scène se transforme ainsi en véritable terrain de sport, où ils transpirent à un rythme frénétique, jusqu'à épuisement. Sug[r]cane accompagne le spectacle avec une bande sonore puissante, qui vit de la même dialectique entre musique baroque et hardcore, avec des samples de voix d'une foule lors d'un match en fond et des éléments électroniques - dans lesquels on reconnaît parfois son style propre. Le spectacle, malgré quelques longueurs, se termine dans la liesse de l'incontournable We are the champions! de Queen. Et c'est là qu'on sait que, malgré cette démystification, Sylvia Camarda n'a pas entièrement enterré tous ses beaux souvenirs d'enfance...

Absolutely fabulous, une chorégraphie de Sylvia Camarda, avec Sylvia Camarda, Stefano Spinelli, Etienne Fanteguzzi ; dramaturgie: Marc Olinger, musique : Sug[r]cane, est une coproduction de Missdeluxedanceco ! avec le Grand Théâtre de la Ville et TDM. Le spectacle sera en tournée durant les prochains mois, les dates sont disponibles sur le site web www.missdeluxe.org.

 

josée hansen
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