Netflix

Netflix se fait une petite ligne au Luxembourg

d'Lëtzebuerger Land du 10.10.2014

Depuis le 19 septembre dernier, Netflix n’est plus seulement une boîte aux lettres installée au Luxembourg pour échapper au contrôle fiscal en Europe, mais un site internet qui vous permet de regarder en flux continu, 24 heures sur 24, et pour un minimum de 7,99 euros par mois, « des milliers de films et de séries TV ».

Netflix est née aux Etats-Unis, en avril 1998, comme une société de locations et de ventes de DVD par correspondance. La société employait alors trente personnes et possédait 900 titres de films dans son catalogue. Le contact avec les consommateurs s’opérait via un site internet lancé dès la fin du mois d’août 1997. Dix ans plus tard, au mois de février 2007, Netflix livre son milliardième DVD tout en entrant progressivement dans l’ère du streaming. L’entreprise se développe alors de manière exponentielle pendant que la vente de DVD chute aux États-Unis. De premier client de la Poste américaine, Netflix devient le plus grand responsable du trafic internet des États-Unis. Le nombre d’abonnés passe de un million en 2002 à 5,6 millions en 2006 et quatorze millions en mars 2010, à la veille du développement de la société à l’étranger (d’abord le Canada puis les pays d’Amérique Latine). L’installation du siège de la société à Luxembourg en mai 2011 permet le développement du marché européen : Royaume Uni, Irlande, Scandinavie, Pays-Bas. Le 19 septembre, le Luxembourg est entré dans la danse au même titre que la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse.

Le développement du marché mondial est lié à celui de la technique du flux continu. Un bataillon d’ingénieurs (900 sur les 2 000 employés que compte désormais la firme) est mobilisé pour traquer les habitudes du spectateur (traçabilité de ces pratiques jusqu’à l’arrêt sur image et la reprise du film au même endroit, enregistrement des préférences, individualisation de la consommation, invitation à l’évaluation, etc.,). L’usage des films possède la même souplesse que celui d’un DVD (lecture, arrêt, avance/retour rapide, alternance de sous-titres et de langues en VO ou doublés).

Concrètement, le spectateur a désormais accès à un magasin de DVD en ligne, disponible instantanément et à tout moment, pour une somme modique (un peu plus de 25 centimes par jour). À défaut de téléviseurs connectés, on peut utiliser n’importe quel appareil relié à la toile (ordinateur, Xbox 360, Wii ou PS3). Des décodeurs, comme l’Apple TV, permettent d’obtenir une vision confortable et de qualité sur un téléviseur HD sans passer par son ordinateur. Netflix n’a pas ménagé sa peine pour attirer le chaland : Un premier mois gratuit, un abonnement qui peut être annulé ou réactivé à tout moment sans préavis, par un simple clic, un classement des films par genre, des suggestions personnalisées, un mode de recherche qui brasse aussi bien les titres de films que les noms de personnes. Cela nous change des pratiques rapaces des rois du pétrole (des capitalistes hippies d’Itunes aux professionnels de la VOD, sans même parler des détenteurs de catalogues qui maintiennent des prix élevés de vente de DVD malgré le coût marginal à destination du spectateur supplémentaire). Cela nous change aussi des programmations pépères des deux escrocs du câble luxembourgeois (Coditel et Eltrona).

Demeure un hic cependant, et de taille. « Les milliers de films et de séries TV » sont plutôt des centaines. Le catalogue luxembourgeois (qui est francophone), ou même français de Netflix ne dépasse pas les 2 000 titres (contre 100 000 aux États-Unis !) (par comparaison, on rappellera également que le fonds audiovisuel de la Bibliothèque nationale comportait près de 13 000 documents en 2013). Le miracle de la globalisation n’empêche pas les frontières nationales – pourtant largement passoires en matière de capitaux et d’attaques aux droits des salariés – de freiner votre propension au surf international. Impossible en effet à partir de Luxembourg de vous connecter sur le Netflix allemand ou le Netflix américain. Vous devrez donc vous contenter de pas mal de séries et de bon nombre de « films d’actions et d’aventures », mais sous l’angle de la trilogie récurrente pyrotechnie-testostérone-et-crânes-rasés, des « classiques » ou « indépendants » qui ne remontent pas au-delà de l’année 1959, proposent quatre Godard, un Sergio Leone et les inénarrables films « arty » de ce que les Américains appellent la « New French Extremity » (des érections de Siffredi selon Breillat aux masturbations féminines de Brisseau). Globalement, les films récents (moins de trois ans) sont peu nombreux. Un bon stock de films « jeunesse et famille » vous permettra cependant de tenir vos enfants tranquilles, quelques moments, sur le canapé. En attendant que Netflix augmente son offre. Comme promis.

En juillet 2014, Netflix a dépassé les 50 millions d’abonnés (dont 36 millions pour les seuls États-Unis). On se dit qu’avec une telle puissance de frappe collective, l’accès aux films finira par se généraliser au point de ramener le prix de consommation d’une unité standard autour du 0 centime d’euro. Le fantasme du tout disponible pour pas un rond doit cependant laisser place à la réalité de nos propres limites physiques et sociales. Quand bien même le catalogue de Netflix atteint les 100 000 titres aux États-Unis, on demeure très loin du compte. Le chercheur Alan Goble a recensé sur le site du Complete Index to World Film, 499 100 films produits par 175 pays depuis 1895. La base de données d’IMDB, rachetée en 1998 par Amazon – qui oriente ainsi la consommation de ces clients vers les DVD disponibles – référençait quant à elle, en septembre 2014 près de trois millions de titres (épisodes de séries inclus). Alors, quelle est la bonne dose pour faire face à cet océan de films ? On évaluait en France, en 2013, la consommation télévisuelle d’une population âgée de quatre ans et plus, à 3h46 par jour en moyenne. Mais un tiers seulement des programmes consommés relevait des films et des séries télés. À ce rythme là, il n’est pas sûr que le shoot prématuré de Netflix Luxembourg suffise à produire une addiction.

Fabrice Montebello
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