Le moment de verité

d'Lëtzebuerger Land du 11.04.2025

La répétition suscite la lassitude ou, pire, l’impression d’une monomanie, le sentiment que le journaliste a une vision obturée du monde. Il est vrai que nous nous nous indignons régulièrement de l’indifférence dans lequel la population palestinienne agonise. Nous voyons une injustice insoutenable à ce que tout un peuple paie de son sang les actes, fussent-ils barbares, commis par ses dirigeants. Nous évoquions encore il y a trois semaines le zèle des députés de la commission des pétitions pour éteindre le débat sur la responsabilité d’Israël dans les crimes contre l’humanité que son gouvernement commet à Gaza et dans les Territoires occupés. Mais un événement inédit a brisé hier cette indifférence des démocraties occidentales ces 18 derniers mois.

Le président de la France s’est déplacé à quelques kilomètres de la bande de Gaza, côté égyptien. À El-Arich, Emmanuel Macron a rendu visite à des victimes des bombardements, des enfants mutilés qui ont survécu et bénéficient de soins. On peine à le croire : c’est la première fois depuis octobre 2023 qu’un dirigeant occidental s’approche de la bande de Gaza, un petit territoire de 360 km2 où les bombes israéliennes pleuvent sur les 2,4 millions d’habitants qui ne peuvent s’en échapper. Et où depuis plus d’un mois, le gouvernement de Benyamin Netanyahu bloque toute aide humanitaire. Emmanuel Macron a vu ce que toute une partie du monde ne veut voir. Dans une interview accordée à la télévision publique dans l’avion du retour, il raconte ses contacts avec les victimes : « Certains avaient le regard qui portait (il marque un long silence) au-delà de la douleur. » Ces derniers mois, le président français avait condamné ça et là des crimes commis par le Hamas ou l’armée israélienne, mais il ne s’était jamais prononcé en faveur d’une résolution politique engageant sa responsabilité (au-delà du vœu de la solution à deux États répété sans conviction pendant des décennies en Europe). Macron se dit prêt « à reconnaître à chacun ses droits », sous-entendu reconnaître la Palestine. La France serait le premier pays du G7 à passer le pas. Un pas du Nord vers le Sud.

La mécanique est lancée et tout retour en arrière coûterait cher politiquement. Emmanuel Macron va dorénavant tenter d’embarquer un maximum d’États en vue d’une reconnaissance réciproque d’Israël et de la Palestine. Avec l’Arabie Saoudite (qui n’a elle pas encore reconnu l’État hébreu), la France organise en ce sens « quelque part en juin » (termes de Macron) une conférence à New York, sous l’égide de l’Onu. C’est l’heure de vérité pour le gouvernement luxembourgeois. Le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel, se dit régulièrement affecté par « la situation au Proche-Orient ». Encore cette semaine lorsqu’il affirme dans une réponse à une question parlementaire des socialistes Lenert et Fayot qu’il soutient l‘initiative par laquelle la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne exhortent le gouvernement israélien de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza. « C’est d’ailleurs un plaidoyer que le ministre a personnellement formulé directement auprès de ses interlocuteurs israéliens, lors de sa dernière visite dans la région du 9 au 11 mars », écrivent ses services. Toujours derrière des portes fermées. Xavier Bettel n’a condamné ni sur les réseaux sociaux ni par communiqué les récentes atteintes au droit international humanitaire par Netanyahu et ses acolytes extrémistes. Si bien que sa politique au Proche-Orient, y compris ses quatre séjours sur place, se résume jusqu’ici à de la gesticulation.

Le Luxembourg promet la reconnaissance au « moment opportun » depuis bientôt onze ans. L’année dernière, quand Espagne, Norvège, Slovénie et Irlande passaient le pas, Xavier Bettel disait attendre que la reconnaissance de la Palestine s’inscrive dans un processus politique de long terme. Voilà exactement ce que propose Macron. Sollicité par le Land, le ministère reconnait que ladite conférence organisée par la France et l’Arabie Saoudite « pourrait constituer une étape cruciale vers la mise en œuvre de la solution à deux États et la reconnaissance de l’État de Palestine ». C’est donc un virage historique à négocier, où chacun fait face à ses responsabilités.

Pierre Sorlut
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