Chroniques de la Cour

Court of cards

d'Lëtzebuerger Land du 24.04.2020

Allan Rosas pose de face, confortablement installé dans un fauteuil design, chemise ouverte, blazer chic, élégance décontractée. La photo est parue sur le site du gouvernement finlandais quelques heures après sa nomination le 15 avril, par le Conseil de l’UE, au poste de président du comité 255. Helsinki souligne les qualités du Finlandais, sa présence actuelle dans le comité d’éthique de la Commission européenne. Allan Rosas doit ce poste au Président de la Cour, Koen Lenaerts. Un lot de consolation, disent certains.

Né en 1948, Alan Rosas, a obtenu son doctorat à l’université de Turku. Professeur de droit jusqu’en 1996, il intègre en 1995 le service juridique de la Commission européenne de Bruxelles dont il sera le directeur général en 2001. Un an avant qu’Helsinki ne le propose au poste de juge finlandais à la

Cour. Il y restera jusqu’en octobre 2019. Alan Rosas est décrit comme plutôt effacé, timide, à la culture juridique solide. Un juge qui aurait pu avoir une carrière différente. Il est de la même génération que l’ancien président Vassilios Skouris, arrivé en 1999 à Luxembourg, et dont il aurait pu menacé le leadership.  En 2003, Skouris se présente à l’élection pour la présidence de la Cour. Un outsider. Deux juges confirmés pouvaient facilement être élus par leurs pairs. Surprise. Il emporte la présidence à la suite d’un concours de circonstances qui brouillent les cartes. Skouris se représente en 2006. Il est réélu sans difficultés. En 2009, Rosas est dissuadé de se présenter. Skouris est réélu, mais moins facilement. Son autoritarisme lasse. Pour les élections de 2012, Allan Rosas se décide. Il posera sa candidature. Mais il aura en face de lui un Skouris qui ne veut pas décrocher. Mais, pour lui, ce n’est pas gagné. Rosas a le vent en poupe et toutes les chances de l’emporter.

Skouris exige alors la création d’un poste de vice-président de la Cour. Gadget couteux qui ne sert à rien, comme le dit alors l’avocate générale Sharpston dans une note interne. Et si Skouris gagne les élections, le poste sera pour Koen Lenaerts, Le Belge est à la Cour depuis 2003 après avoir passé  quatorze ans au tribunal européen. Vassilios Skouris et Koen Lenaerts font campagne en tandem. « C’est comme cela qu’il ont battu Allan Rosas, et encore, qu’à une seule voix », raconte un témoin.  Allan  Rosas rentre alors dans le rang. Skouris garde la présidence et entame alors sa fameuse réforme de la Cour aux conséquences désastreuses. « À partir de 2012, il deviendra incontrôlable », se rappelle un juge. Apparemment, Allan Rosas n’est pas rancunier. Il prend même une part active à ladite réforme et épouse les vues de la Cour lorsque celle-ci s’oppose au Tribunal européen. « Il l’a même dénigré », lui reproche un ancien juge. Récemment, la Cour l’a chargé de l’enquête sur le juge slovène Miro Prek, que son ancienne maitresse, référendaire dans son cabinet, avait accusé de violences. Le rapport est resté secret. L’affaire est enterrée. Il avait déjà décidé de démissionner bien avant. Il quitte la Cour en octobre 2019.  Tout de suite après, Lenaerts lui offre la présidence du comité 255. Évidemment cela ne vaut pas la présidence de la Cour, mais ce rôle de faiseurs de juges n’est pas sans intérêt ni prestige.

Il va remplacer Christiaan Timmermans (2000-2010) qu’il connaissait bien. Nommé à la tête du comité en 2018, il en a démissionné un an plus tard. À près de 80 ans, ce serait pour raison de santé. Le Néerlandais avait lui-même succédé au Français Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État et président du comité depuis sa création en 2010 et reconduit dans ses fonctions en 2014. Le comité 255 a été créé par le Traité de Lisbonne (en son article 255) pour vérifier l’adéquation des candidats au poste de juge européen. L’objectif était de limiter un tant soit peu les nominations par copinage politique qui faisaient des ravages dans certains pays de l’UE. Le renouvellement des mandats de plus de quatre-vingt-dix juges et avocats généraux se fait par moitié tous les trois ans. Même si les juges qui restent pendant un ou plusieurs mandats supplémentaires ne sont pas auditionnés, cela donne du travail aux sept membres du comité. La récente affaire slovaque – quatre candidats recalés coup sur coup- ont rendu ses décisions suspectes (d’Land du 13.03.2020). Ses critères d’appréciation des candidats ont été volontairement flous au départ pour n’exclure aucun profil. Par exemple, exiger des publications savantes évincerait les avocats praticiens, seuls éligibles dans certains pays. Avec le temps, ces critères sont devenus difficilement maitrisables. Les trois postes de juges accordés à chaque État-membre, prestigieux et extrêmement bien payés, sont source de convoitise. La sélection des candidats dans les capitales européennes vire de plus en plus souvent à la confrontation. Les politiciens s’en mêlent. Les médias affluent. Ils s’intéressent maintenant au comité. La question est de savoir comment, dans ce contexte, Allan Rosas, vu son vécu, son passé professionnel et … sa connaissance du milieu, va se comporter. Et s’il se révèlera à la hauteur de la tâche complexe qui l’attend.

Dominique Seytre
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