Musique classique

Et que ça valse !

d'Lëtzebuerger Land vom 22.01.2021

Les apparences sont trompeuses : les concerts du Nouvel An se suivent, mais ne se ressemblent pas. Et - oh surprise ! - la cuvée 2021, somptueux florilège de mélodies du bonheur aux charmes irrésistibles, compte assurément parmi les plus pétulantes de ces dernières années. Il faut dire que la programmation, qui va du bucolique (polka rapide Unter Donner und Blitz de Johann Strauss fils) au solaire (Die Libelle de Josef Strauss) et opère un va-et-vient subtil entre plaisir (Ouverture de Die schöne Galathée de Franz von Suppé) et nostalgie (Dynamiden, page poétique et ourlée de mélancolie diffuse), mêle astucieusement les « tubes » à l’une ou l’autre pièce rarement jouée. Leopold Hager, qui, de 1981 à 1996, a présidé, en tant que titulaire, aux destinées de ce qui s’appelait alors l’Orchestre Symphonique de RTL (aujourd’hui Orchestre Philharmonique du Luxembourg), y est en terre familière. Il a cette musique dans le sang, tant il apporte à ces valses et autres danses rabâchées pour la plupart une garantie d’authenticité - qui plus est - mâtinée d’un ton personnel, fait d’élégance et de pudeur qui font front à tout excès et à tout débordement.

Avant de faire parler la musique, le maestro salzbourgeois a été nommé « chef honoraire » par l’OPL, dans le cadre d’une émouvante cérémonie, au cours de laquelle la distinction honorifique lui a été remise par le Président de l’orchestre, Pierre Ahlborn.

Ce Nouvel An « à l’autrichienne » s’ouvre par l’Ouverture de la Chauve-Souris de celui qui a définitivement conféré à la valse ses lettres de noblesse – ouverture, qui précède le truculent Vergnügungszug op. 281 du même Johann Strauss fils, suivi par les entraînantes Danses hongroises WoO 1/6 et WoO 1/1 de Brahms. La manière si vive, si vivante dont Hager, gestique aisée et fluide, aborde ensuite le trois-temps viennois du premier temps fort de ce concert qu’est la célébrissime Kaiser-Walzer du « Roi de la Valse » séduit dès les premières mesures. Quant aux Danses slaves op. 72/2 et op. 46/8 de Dvorak, elles nous emportent et transportent sans résistance possible, quand bien même elles paraissent çà et là un brin trop appuyées. Force est de constater que les fastes chamarrés blanc et or de l’Empire austro-hongrois de ces danses d’une rare suavité s’envolent sur un tempo si enivré qu’il ne manque pas, ici ou là, de nous soulever de notre fauteuil.

Soulignons que le Philharmonique maison, véloce à souhait, haletant de vivacité et fort d’une constante fraîcheur, donne le meilleur de lui-même, sans doute parce que Leopold Hager, au lieu de le corseter dans un moule stylistique raide et compassé, lui laisse, d’un bout à l’autre de ce concert-rituel, la bride sur le cou, tout en privilégiant la netteté, en variant climats et sentiments, en ciselant les détails avec la gourmandise d’un orfèvre.

Si ce concert festif faisait la part belle à pas mal de pages archiconnues, il est toujours enthousiasmant de les réentendre, surtout quand leur exécution, comme ce fut le cas le 11 janvier, ne prête guère le flanc à la critique, tant le chef invité, 25 ans après avoir quitté le poste en tant que chef attitré, est manifestement rompu comme nul autre à ce répertoire tout à la gloire de la danse dans tous ses états et éclats. Aussi le public n’a-t-il pas manqué d’exprimer sa gratitude, en honorant la prestation du prestigieux honoraire par des salves d’applaudissements aussi nourris que chaleureux.

José Voss
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