Merci pour la visite

d'Lëtzebuerger Land du 22.01.2021

Je dirais que c’est son imprévisibilité qui fait tout son charme. On ne sait jamais quand elle nous fera honneur de sa présence. C’est un peu sa marque de fabrique. Elle aime être inattendue, elle aime nous surprendre, presque nous décontenancer. Et peu importe si ça nous agace un peu. Elle sait bien qu’on finira par faire avec et qu’en jouant de ses atouts, elle nous fera presque regretter d’avoir oser rouspéter en la voyant ainsi débarquer. En y réfléchissant, je crois que c’est l’enchantement qu’elle suscite qui est sa meilleure alliée pour tout se faire pardonner. Comme il n’est pas si fréquent de la voir, son arrivée semble toujours auréolée d’un peu de magie, et si on reprocherait facilement à quiconque ses trop longues absences, à elle, on ne dit rien. Sans doute de peur qu’elle s’en aille déjà le soir-même. Car c’est souvent au petit matin qu’elle apparaît. Oui, elle aime nous surprendre sans bruit, alors que le jour est à peine levé, drapée d’élégance et de tout son éclat. Et nous, les yeux encore embués de sommeil et le visage froissé par la nuit, on la découvre ainsi, aussi interloqués que fascinés par sa venue et sa beauté.

Passé l’émerveillement et la joie des retrouvailles, les premières heures face à elle sont parfois délicates. Il faut un temps pour se réhabituer à sa présence surtout que d’année en année, elle semble avoir ses humeurs, n’étant ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Parfois on aimerait lui dire qu’elle aurait pu prévenir quand même, qu’on aurait eu le temps d’anticiper sa venue, de se préparer comme il se doit... Mais elle a ce je-ne-sais-quoi d’intimidant. Sa froideur ostensible peut-être, sa dureté parfois et le silence que sa magnificence impose autour d’elle. Comme avec un animal sauvage, je dirais qu’il vaut mieux l’apprivoiser pas à pas et rester sur ses gardes lorsqu’on fait sa connaissance. Car si on s’y prend mal, tout peut rapidement déraper. Pourtant elle n’est pas si forte qu’elle paraît. Sous son air imperturbable, je sais sa fragilité. Elle n’aime pas qu’on la heurte ou qu’on la dérange et peut littéralement se liquéfier face à un geste de travers. C’est sans doute pour cela qu’elle ne reste pas très longtemps parmi nous. Partir avant de lasser.

Ses visites sont donc toujours fugaces et éphémères. Elle est de passage comme on dit. Peut-être imagine-t-elle que si elle s’attardait davantage, on finirait par ne plus autant la regarder. Elle appartiendrait alors à notre quotidien et sa présence ne susciterait plus le même plaisir. On ne sortirait plus les albums de photos, on n’évoquerait plus tous ces souvenirs qu’on partage avec elle, toutes ces anecdotes, souvent joyeuses, parfois douloureuses. Ce ne serait plus pareil sans doute. Pourtant j’en connais qui rêveraient de se lever chaque matin à ses côtés, de l’embrasser et la caresser chaque jour, de la goûter, de la toucher, de l’admirer, les joues un peu roses de tous ces plaisirs partagés. C’est vrai que, l’air de rien, elle a ce don de faire du bien. Sa présence est revigorante, elle rebooste, redonne le moral et le sourire. Avec elle, on retrouve le goût des sorties quand même la saison ne s’y prête plus. On poserait presque un jour de congé, abandonnant le bureau pour en profiter pleinement ou simplement, pour la contempler toute une journée. Car d’un rien, elle semble parvenir à distiller un peu de magie autour d’elle. On s’étonne alors du nouvel aspect des choses qui nous entourent, de l’insignifiant qui devient beau, de l’imperceptible qui se révèle soudainement à nos yeux.

C’est toujours en douceur qu’elle nous prépare à son départ. Au fil des jours, elle se fait moins présente. Des traces d’elle subsistent bien sûr autour de nous, mais sa superbe a perdu en splendeur. On se dit qu’il est temps, qu’il faut qu’elle s’en aille maintenant, car on la veut ou toute pour nous, ou pas du tout. Son départ laisse un vide et tout redevient soudain gris. Reste qu’on est reconnaissant de sa venue. Elle nous aura enchanté de sa présence, surtout cette fois-ci. Bravant confinement et couvre-feu, elle a su nous sortir de la torpeur ambiante et apporté la joie à l’heure où l’on peinait un peu à la retrouver. Cadeau altruiste de la nature, la neige – c’est bien d’elle qu’il s’agit – nous a mis en liesse et parce qu’elle a eu le mérite de nous faire un peu oublier l’actualité, je trouvais bon ton ici d’en parler.

Salomé Jeko
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