Les salles de la galerie Ceysson & Bénétière se muent en orgie  gestaltiste », faite de répétition
et de différence

La féria Viallat

Exposition de l'artiste Claude Viallat
Photo: Lucien Kayser
d'Lëtzebuerger Land du 11.04.2025

Claude Viallat est un homme d’Occitanie, né à Aubais, vivant et travaillant à Nîmes, les deux ne sont distants que d’une trentaine de kilomètres. Qu’il soit féru de courses taurines, n’en est que dans l’ordre des choses, à l’ombre des arènes. Une exposition antérieure s’était de la sorte inscrite dans la tradition de la tauromachie dans l’art moderne ou contemporain. Avec l’allant, l’ardeur, propres à une activité aujourd’hui mise en question. L’excitation, l’exaltation, sous le soleil brûlant le sable et les gradins, dans l’éclat des couleurs. Mais la fête est également ailleurs, la griserie n’est pas moindre dans cette nouvelle exposition, retour à l’art habituel de Claude Viallat, dira-t-on à son image de marque.

Difficile de faire plus, et plus colorié, sur les murs, et par terre à tel endroit, dans les salles du Wandhaff de la galerie Ceysson & Bénétière (jusqu’au 24 mai). Au point que le visiteur en est dès les premiers pas, prolongeant son regard, comme ébranlé, sonné. On savait Claude Viallat savant et séduisant coloriste, voilà une débauche (mais l’excès n’y a rien de nocif) qui vous attend, vous submerge. Souvent, dans les pièces mêmes, prises séparément, mais le feu d’artifice opère avec le plus de force par l’ensemble de l’exposition, autant de fusées multicolores lancées en l’air, fixées aux murs. Et comme il arrive aux pyrotechniciens de varier et de se servir à tels moments seulement de gerbes lumineuses, de même, Claude Viallat joue des fois de la retenue, réduit la palette, pour reprendre plus loin lustre et miroitement.

Il est cette richesse coloriée, la bigarrure d’une exposition, la variété ou la diversité ne sont pas moindres pour les tissus eux-mêmes, évidemment, on ne parlera pas de toiles ou plus exactement de tableaux, les tissus sont accrochés simplement aux murs, quels qu’ils soient, provenant par exemple d’une moitié d’un parasol d’une marque bien connue de pastis. Toutes sortes de pièces s’alignent sur les murs, régulières, plus ou moins biscornues, composites, baroques. Là-dessus défilent ce dont il n’a pas encore été question, sauf à évoquer l’image de Claude Viallat, cette figure pas tout à fait rectangulaire, légèrement penchée, sorte de haricot, ou ira-t-on du côté de la forme du rein, dans les années soixante et soixante-dix très prisée dans le design, notamment pour les tables, voire des amibes, elles plus bougeantes, mouvantes. Les figures de Claude Viallat animent par leur nombre, leur disposition, au maximum par les directions changeantes dans les pièces où l’artiste joue de l’assemblage et du pliage.

Et quelle pluralité, tout aussi époustouflante, dans les tailles, les dimensions, jusqu’à telle pièce de près de trois mètres sur sept, étendue par terre, avec des morceaux raccordés dessus. C’est que Claude Viallat aime à contrecarrer ainsi, libre cours à la fantaisie, avec les découpes les plus déconcertantes, ce qui s’avérerait peut-être trop régulier. Cela fuse alors, cela s’épanouit, dans tous les sens, horizontalement, verticalement, dans une extrême liberté, dans une jouissance sans limite.

Il appartient dès lors au visiteur de s’y accorder, au grand jeu de Claude Viallat. Et de faire par exemple ce va-et-vient connu du gestaltisme entre le fond et la forme, aller de l’un à l’autre, privilégiant tantôt la figure, son armée, son essaim, tantôt ce qui apparaîtra très vite comme un grillage. Autre chose pour conclure et inscrire l’artiste encore dans un contexte intellectuel plus large. C’est en 1969 que nous trouvons Claude Viallat parmi les membres fondateurs du groupe Supports/Surfaces. C’est une année plus tôt, en 1968, année qu’on se rappelle, que le philosophe Gilles Deleuze a publié aux PUF sa thèse principale, autant réflexion et développement sur l’esthétique que sur la métaphysique à partir de Leibniz et de Kant. Son titre : Différence et répétition, deux pôles justement de l’art de Claude Viallat, dans cette autre critique de la représentation. Pour aboutir à ce que l’exposition donne à voir et lire comme les fastes d’incessantes interrogations sur l’exercice pictural.

Lucien Kayser
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