Marchés publics et asbl

Irréconciliables

d'Lëtzebuerger Land vom 11.12.2008

Le verdict est sévère. D’autant plus que la crise financière et économique, qui devrait surtout servir ses douloureux effets en 2009, risque de rendre plus utile encore que par le passé des structures comme Objectif Plein Emploi (OPE) ou Proactif, pour tenter de remettre sur les rails des milliers de chômeurs sans qualification. Le gouvernement s’est battu jusqu’à sa dernière cartouche pour soutenir ces organisations, dont il est aussi l’instigateur. En vain. La Cour administrative vient de dire, pour droit, que les associations sans but lucratif de type OPE n’ont pas le droit de participer à des marchés publics. Ce serait anticoncurrentiel. 

Dur dur pour des asbl qui ont commencé, il y a un an et demi, à grignoter les marchés publics avec leurs prix défiant toute concurrence, au grand dam des milieux économiques qui ont vu ainsi des pans entiers d’activité leur échapper. D’ou d’ailleurs leur réaction immédiate à travers un premier recours devant les juridictions administratives. Avec un seul objetif : barrer la route, par principe, aux nouveaux arrivants de l’économie solidaire. Ils avaient eu raison en première instance, mais l’État et OPE refusaient ce verdict.  

Désormais, il n’y a donc plus de doute possible. Le gouverne-ment devra capituler, du moins provisoirement, en attendant une modification de la législation sur les associations sans but lucratif, à l’image des changements déjà intervenus en France et en Belgique, où les réseaux associatifs ont le droit à des incursions dans l’économie réelle, pour autant que leurs activités rémunérées restent accessoires. La crise économique et le scrutin législatif de juin 2009 devraient dissuader les autorités d’aller trop vite en besogne, malgré la pression que devraient exercer les principaux syndicats du pays, qui sont aussi derrière OPE (OGBL) et Proactif (LCGB), pour permettre à leurs officines de fonctionner comme avant. Car les fonds publics que touchent ces organisations de réinsertion des chômeurs et leur efficacité sont de plus en plus remis en question. Les chiffres exhumés récemment par le ministre du Travail ont en effet montré que les mesures pour rétablir le plein emploi coûtent très cher pour un résultat  plus que décevant en termes d’employabilité.

L’affaire, qui a amené à remettre en cause la légalité de l’attribution par l’État à la suite d’appel d’offres de marchés publics à des asbl, est née au printemps 2007, après un important marché pour l’entretien du réseau autoroutier. OPE remporte la mise devant d’autres organisations de ce type et face à des entreprises du bâtiment. Une bataille juridique s’engage alors autour de l’étendue possible des activités des asbl, qui n’ont par exemple pas besoin d’autorisation de commerce pour se lancer dans les affaires. Les contours de la loi de 1928 sur les associations sont passés au crible, ainsi que la portée de la réglementation de juin 2003 sur les marchés publics, qui a intégré pour la première fois des considérations de développement durable et d’environnement. Précisément pour ouvrir les marchés publics à OPE et à Proactif. 

« Se pose la question de savoir si les asbl, en général, et OPE en particulier, peuvent prétendre à participer comme soumissionnaire, c’est-à-dire comme fournisseur, entrepreneur ou prestataire de services qui présente une offre, à un marché passé par un pouvoir adjudicateur public et se le faire attribuer », a résumé la Cour dans son arrêt. La réponse est limpide. D’abord, rappellent les juges, la notion même de marché public implique par essence la concurrence. « Il ne saurait y avoir de jeu efficace de la concurrence si l’égalité des soumissionnaires n’est pas garantie », disent-ils. 

Et même si la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics comprend des clauses sociales et environnementales, ces préoccupations ne doivent pas impliquer des distorsions de concurrence et porter ainsi atteinte à l’égalité des soumissionnaires. Si, en outre, la loi sur les asbl ne leur interdit pas d’accomplir des opérations acces-soires, donc rémunérées pour pouvoir fonctionner, tout ne leur est pas permis pour autant. « Admettre la mise en concurrence de soumissionnaires exerçant leurs activités professionnellement avec des soumissionnaires qui ne sont pas soumis aux contraintes afférentes revient inévitablement à remettre en cause l’exigence d’égalité des soumissionnaires, ce qui est contraire à l’essence même des soumissions publiques », indique la cour. « Admettre, poursuit-elle, la participation d’une asbl à une soumission publique implique une distorsion de concurrence (...) et la forme de l’asbl n’est pas conciliable avec les exigences posées par la législation sur les marchés publics ou inhérentes à celle-ci ». 

Véronique Poujol
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