Danse contemporaine en confinement

« Liver » pour exister

d'Lëtzebuerger Land du 24.04.2020

Dans ce nouveau monde où les live pullulent, propageant l’info ou la désinfo, la culture ou le divertissement, submergeant Internet et nos esprits rétrécis par l’effet confinement, le Luxembourg Collective of Dance (LuCoDa) participe à « l’effort de guerre » en dansant sur les réseaux sociaux.

En juin 2016 l’excellent collectif chorégraphique (La) Horde lançait la danse post-internet, en publiant Leslee sur sa chaine YouTube. Au fil du temps, ces vidéos transperceront l’écran pour pousser de nombreux danseurs amateurs ou non, à imiter le pas, danser en vrai, dans le réel. Aujourd’hui, LuCoDa se transforme un peu en cette même matière, livrant des cours de danse, à corps perdus, en live sur la toile, pour faire danser les gens devant leurs écrans, mais aussi et surtout, pour rompre la solitude de l’artiste.

Créé en 2019, d’abord pour se projeter dans les manifestations de Esch2022–Capitale européenne de la Culture, LuCoDa poursuit ses initiatives en plein confinement, à cause de – « ou grâce à », on ne sait plus – ce contexte qui immobilise le monde. Né d’une envie de réunion d’artistes professionnels de la danse, pour pouvoir échanger, partager et travailler ensemble, LuCoDa a entamé son action en juillet 2019 en explorant chorégraphiquement l’exposition The Bitter Years d’Edward Steichen au CNA de Dudelange.

À l’initiative de la danseuse Rhiannon Morgan, rejointe par Giovanni Zazzera, le collectif s’est vite fédéré, ajoutant à ses rangs, Jovi Anousaki, Georgia Aroni, Julie Barthelemy, Gianfranco Celestino, Maria Cipriano, Jill Crovisier, Jennifer Gohier, Baptiste Hilbert, Piera Jovic, Aifric Ní Chaoimh, Ileana Orofino, Carine Baccega et Marine Rehm. Aussi, voilà plusieurs mois que LuCoDa poursuit l’objectif de faire vivre la danse dans ses diversités artistiques, pédagogiques, et sociales… Ce n’est donc pas une surprise de trouver le collectif vivace, même dans cette période délicate, imaginant une façon d’amener la danse partout et pour tous.

Comme beaucoup d’artistes au Grand-Duché, LuCoDa avait pas mal de projets pour le début des beaux jours, « on devait danser aux Hauts Fourneaux de Belval et au Cercle Cité juste après Pâques. Il devait se passer quelque chose, on était en pleine ébullition quand ce coronavirus est arrivé », explique Julie Barthélémy, membre du LuCoDa. C’était donc une nécessité de rester connecté et proche du grand public pendant la pandémie… est ainsi née l’initiative en ligne « LuCoDa Active ».

Sans jamais avoir dansé seul dans son salon, ou donné un cours devant une webcam, le collectif s’est lancé là-dedans, « on a accepté le fait que ça ne pouvait pas être parfait, que nos corps confinés soient dans des états particuliers… Au moins quelque chose se passe, nous ne sommes pas seuls », précise la danseuse. Il n’y a pas de vocation esthétique ici mais un lien entre ce qui se passe sur le net et dans le réel. Et puis, exit le quatrième mur, ici le geste est commenté, répété à la demande, le prof encouragé, le public est actif.

C’est cet échange qui est mis en avant tous les jours du confinement, autour de cinq membres du collectif proposant des cours en ligne pour les amateurs et danseurs pro, le samedi étant consacré à un professeur invité, comme précédemment le Grec Konstantinos Kafantaris, le Luxembourgeois Marc Fol ou prochainement la Finlandaise Anu Sistonen.

« Hi Guys, I think the music is loud… », ce sont quelques mots qui amorcent une des vidéos live de LuCoDa. Alors, si le live comporte ces aléas, il n’y a que peu de place à l’impro dans ces cours où se glisse à chaque fois « une phrase chorégraphique ». Tout cela s’opère dans différents lieux : des salons dans le vieux, des cuisines blanches sur blanc ou encore dans des chambres étroites, où au sol, sur carrelage, tapis ou parquet, les danseuses de LuCoDa n’ont besoin que d’une caméra pour se lancer, « le danseur est dans une pratique collective et sociale, ces live nous permettent de palier à la solitude. Même seul devant notre écran, on créée du lien, on reste actifs, et on prépare le futur », ajoute Barthélémy.

Certes, les cours engagent tout de même un certain nombre de mètres carrés, mais c’est bien le seul bémol qu’on relève jusqu’alors. Car si oui, danser devrait pouvoir se faire partout, difficile de suivre la cadence dans un 30 m2 cuisine et salle de bain superposées… Cependant, la large diffusion de ce genre de vidéos, encourageant à la décentralisation de la pratique artistique, rend indiscutablement légitime l’action.

Et puis tant pis, car dans un second temps, les membres de LuCoDa projettent d’autres aventures, « actuellement on essaie de trouver un moyen pour partager quelque chose ensemble ». Un projet qui serait créé exclusivement dans, pour et par ce contexte de confinement devrait émerger, même face à des préoccupations se cumulant avec l’avenir qui s’annonce incertain pour l’instant…

Ce qui est sûr c’est que LuCoDa, créée pour Esch 2022, a déjà commencé son Esch 2022… Tout cela ressemble fort à une forme de teasing du travail et des caractéristiques de chacun, en plus de la matière vidéo en présence, qui constitue une archive importante pour le collectif afin de garder des traces et valoriser ensuite d’autres démarches.

Néanmoins, si les live culturels inondent internet, bien plus qu’il n’en faudrait, ceux du LuCoDa font partie de la branche qui gagne à être connue, ou au pire « à regarder plus tard ». Avec 28 classes données depuis le 24 mars, devant plus de 25 000 spectateurs internautes, le projet connecté du collectif peut se targuer d’une réussite louable. Pourtant, tout hikikomori que nous ne sommes pas, le virtuel lassera un jour, indubitablement, mais LuCoDa engage de la meilleure des façons son retour dans le réel et hâte plus encore l’envie d’y être.

www.lucoda.org

Godefroy Gordet
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