Échos des cris de joie que l’on entendait il y a cinq ans chez certains lorsque le ralentissement économique causé par les confinements était célébré pour la baisse des émissions de CO2 qui en découlerait, les considérations que l’on entend ces jours-ci sur la décarbonation pouvant résulter des estocades portées Donald Trump contre le commerce mondial sont tout aussi malavisées. Bien malin qui prédira aujourd’hui avec précision l’impact des tarifs douaniers imposés par la Maison blanche sur l’activité économique et sur l’évolution des émissions de gaz à effet de serre. Une chose est sûre, cependant : la méthode « FAFO » (fuck around and find out) qu’applique aujourd’hui l’administration américaine à tout ce qu’elle entreprend est à l’exact opposé des défis qu’il incombe aujourd’hui à l’humanité de relever pour se sortir d’affaire. Pour décarboner, sauver le vivant et réduire les inégalités (une liste simplifiée de ces défis) dans les délais impartis par les implacables lois du monde physique, il faut assurément autre chose qu’un chien dans un jeu de quilles. La tâche est herculéenne ; elle requiert une approche méticuleuse et une concertation à l’échelle globale inégalées dans l’histoire.
Cela commence par un simple rappel d’une des motivations premières de Donald Trump, qui est de remercier, ou plus spécifiquement rembourser, les entreprises d’énergies fossiles qui ont grandement contribué, à travers leurs donations, à le faire élire en novembre 2024. Quitte pour cela à mettre des bâtons dans les roues au déploiement des énergies renouvelables. Lorsque la principale puissance économique du globe, elle-même première exportatrice d’hydrocarbures, adopte une stratégie aussi diamétralement opposée à la décarbonation, on n’ose imaginer l’ampleur de la récession qui serait nécessaire pour compenser les émissions additionnelles causées par ces politiques contreproductives. Carbon Brief les avait chiffrées à quelque quatre milliards de tonnes de CO2 l’an dernier pour l’ensemble du deuxième mandat de Trump, mais c’était avant que la stupidité défiant tout entendement de son action ne devienne évidente. N’a-t-il pas annoncé cette semaine vouloir prolonger la vie de centrales au charbon moribondes pour, dixit la Maison blanche, alimenter en électricité les centres de données, l’intelligence artificielle et les véhicules électriques ?
Alors que la période de la pandémie a coïncidé avec un moment où l’opinion, à tout le moins dans les pays occidentaux, était majoritairement acquise à la notion d’une marche inéluctable vers un monde sans pétrole, gaz ou charbon, les années suivantes ont été marquées par un retour de bâton caractérisé. Nourri par les chantres irresponsables d’une version idéalisée de la liberté individuelle qui ont pris leurs aises durant cette période, il a depuis considérablement rogné sur l’engagement en faveur du climat, favorisant la montée de mouvements d’extrême-droite décomplexés, xénophobes, faucons budgétaires et, pour faire bonne mesure, farouchement opposés à toute action en faveur du climat. Ainsi étaient réunies les conditions, à la fin de la pandémie, pour diluer les ambitions climatiques, prétendument pour ménager les constructeurs automobiles ou les agriculteurs, entre autres, en réalité pour préserver envers et contre tout un mode de production insoutenable.
À présent, ce seront à nouveau les mesures vouées à la décarbonation ou au sauvetage de la biodiversité qui seront les premières sacrifiées lorsque s’élèveront des appels à l’austérité en réponse au resserrement de l’activité causé par les folies douanières de Donald Trump. Prenons l’exemple de l’acier : est-il raisonnable d’assumer que le mécanisme européen de taxation du contenu en CO2 des importations puisse survivre au chaos consécutif à l’érection de barrières protectionnistes conçues sur un coin de table ? S’il s’agit de reconnaître une victoire au trumpisme, c’est d’avoir d’ores et déjà réussi à faire disparaître de la couverture de l’actualité économique toutes références aux crises climatique et autres – si tant est qu’elles existaient.
Si elle doit ressembler à autre chose qu’à un champ de ruines, la décarbonation a besoin d’un commerce mondial éclairé, qui favorise la transition vers les énergies renouvelables tout en limitant les émissions et les coûts que celle-ci occasionne. Voitures électriques et panneaux photovoltaïques produits en Chine à moindre coût sont à considérer comme une aubaine dans cette perspective, non comme une menace. Le dessein trumpien de renationaliser à la hache les chaînes d’approvisionnement, après que tout a été fait pendant des décennies pour les globaliser, est illusoire même si l’objectif devait être croissance et hyperconsommation – c’est la raison pour laquelle les milliardaires de Wall Street commencent à grincer des dents après avoir initialement soutenu le camp républicain sans sourciller –, mais est tout aussi incompatible avec l’urgence climatique : nous n’avons de toute façon pas le loisir d’attendre que la poussière retombe et que ces chaînes d’approvisionnement se recomposent.
Enfin, le racisme et la xénophobie qui sont devenus une des boussoles du régime MAGA secrètent aussi, à leur façon, un venin remarquablement efficace contre toute notion de solidarité internationale. Si l’immigré, l’étudiant étranger ou le touriste sont l’ennemi à abattre, les différences culturelles, une des richesses de l’humanité, deviennent des obstacles à l’action multilatérale au lieu de contribuer à la créativité dont a grand besoin l’humanité pour s’extraire de ce mauvais pas.