Avec la mise en place de son artothèque, le ministère de la Culture entend structurer ses collections tout en soutenant la création artistique. Les questions sont encore nombreuses quant au stockage et à l’exposition des œuvres

Quand le ministère collectionne

d'Lëtzebuerger Land du 07.10.2022

Si les bibliothèques et les médiathèques sont bien identifiées au sein du paysage institutionnel, il en est tout autrement des artothèques. C’est à peine si l’on en a déjà entendu parlé – une impopularité qui a valeur d’indice. Cela s’explique par le fait que ces lieux de conservation et de prêt d’œuvres d’art bénéficient très rarement d’une infrastructure à part entière, quand bien même elles possèdent une collection. Bien souvent, les artothèques sont annexées à des édifices préexistants : une bibliothèque municipale, un musée, une maison de la culture... Elles constituent cependant d’importants soutiens à la création contemporaine à travers diverses actions. En organisant des expositions temporaires, en assurant un travail de médiation en direction des publics et, pour certaines, en permettant au quidam d’accueillir à son domicile et pour une période déterminée une œuvre d’un artiste. Pour cela, nul besoin d’un gros porte-monnaie, ni même d’être fin connaisseur en la matière. À l’artothèque de Grenoble par exemple, particuliers et collectivités peuvent emprunter, pour une période de trois mois maximum, des œuvres originales issues des principaux courants ayant émergé depuis les années 1950.

Encouragée par le ministère de la Culture de Jack Lang dans les années 1980, cette politique de sensibilisation à l’art contemporain est restée cependant largement méconnue. Si les raisons sont difficiles à identifier, on peut pointer un défaut d’équipements qui ne permet pas d’inculquer des pratiques culturelles sur le long terme, contrairement au maillage dense dont bénéficient les bibliothèques, mises en réseau sur tout le territoire. On recense ainsi une soixantaine d’artothèques en France, dont une seule pour le Grand Est, portée par l’association « plus vite » et son fonds composé de 479 pièces (plusvite.org). Installée en milieu rural, cette structure itinérante s’appuie sur des bibliothèques-relais pour mettre à disposition du public ses collections. Peu de publicité cependant, aucun écho à grand échelle. Hormis quelques initiés bien informés, peu sont au courant de son existence. Rareté des équipements, faiblesse des crédits alloués, comme le soulignait récemment un article paru dans Le Monde, sont autant de freins au rayonnement des artothèques. Des résistances en termes de représentations sévissent en plus, les objets d’art étant associés à une logique de propriété, ainsi que l’encouragent les galeries, plutôt qu’à une logique d’usufruit qui prévaut pour les livres au sein des bibliothèques.

Le terme d’artothèque n’a franchi les frontières du Grand-Duché que récemment et ne revêt par le même sens qu’en France. Il désigne ici le service qui gère la collection du ministère de la Culture. Confié à Lisa Baldelli, ce service a été créé l’année dernière et est doté d’un budget de fonctionnement de 30 000 euros annuels. On a pu en voir les contours quand, en septembre 2021, un appel a été lancé aux artistes et galeristes du Luxembourg par le ministère afin d’enrichir ses collections. Les artistes et les galeries étaient invités à présenter un lot de cinq œuvres, pour une valeur totale n’excédant pas 110 000 euros. Pour une centaine de dossiers reçus, un peu moins d’une vingtaine d’heureux élus, dont Filip Markiewicz, Marco Godinho, Flora Mar, ou encore Bruno Baltzer et Leonora Bisagno, parmi d’autres. Leurs œuvres sont venues enrichir le fonds de l’artothèque.

Bien avant la naissance de cette entité, les fondements d’une collection nationale ont été posés. Dès 1984, sous le ministère des Affaires culturelles de Robert Krieps (LSAP), de premières acquisitions sont effectuées pour le compte de l’État avec l’idée de constituer un fonds qui soit représentatif de l’art luxembourgeois. Puis, au milieu des années 1990, un comité d’experts est créé sous la ministre Erna Hennicot-Schoepges (CSV) pour le choix des œuvres, en étroite collaboration avec le Musée national d’histoire et d’art (MHNA). C’est ainsi qu’émerge officiellement une Commission d’achat d’œuvres d’artistes luxembourgeois. À la participation du MHNA s’ajoutera, en 2004, celle du Casino Luxembourg-Forum d’art contemporain notamment. Aujourd’hui, ce sont plus de 700 œuvres que compte cette collection d’État, avec une présence importante de la peinture, du dessin, de l’estampe et de la photographie. Les ministères, les administrations gouvernementales et les établissements culturels peuvent emprunter des œuvres pour « décorer » leurs bureaux et les espaces ouverts au public.

Dans la droite ligne du Kulturentwécklunsplang 2018-2028 et de la recommandation 35 qui préconise de « revaloriser la collection d’art du Ministère de la Culture », la ministre de la Culture Sam Tanson (dei Grèng) engage une structuration des collections. Elle cite trois axes pour faire évoluer cette collection. « Il y a d’abord le soutien direct aux artistes par des acquisitions à travers des appels qui leur sont destinés. Les galeristes implantés au Luxembourg sont également concernés par les appels car, ils ont aussi un rôle à jouer dans cette structuration. Ces achats doivent constituer un ensemble cohérent de ce que représente l’art à un moment donné au Luxembourg. Enfin, il s’agit de donner une visibilité à cette collection. Nous travaillons actuellement à la mise à disposition d’un catalogue en ligne et à l’organisation d’expositions temporaires », détalle-t-elle auprès du Land. La création de l’artothèque et la hausse du budget d’acquisition (passant de 75 000 euros en 2018 à 110 000 euros depuis 2019), correspondent à ces missions, même si beaucoup d’aspects restent encore à traiter. La traçabilité des prêts fait aussi partie des mesures mises en place car elle a longtemps fait défaut, au point que certaines œuvres se baladeraient aujourd’hui sans que l’on sache précisément où elles se trouvent. Un contrat de prêt sera dorénavant signé entre le ministère de la Culture et l’emprunteur dans lequel seront précisés la liste des œuvres prêtées, le lieu, la durée ainsi que les conditions du prêt.

Un comité de sélection des œuvres a été formé pour les acquisitions, composé de professionnels issus de la Villa Vauban (Gabriele D. Grawe), du département photo du Centre national de l’audiovisuel (Michèle Walerich), du MHNA (Michel Polfer), du Mudam (Clément Minighetti) et du ministère de la Culture (Claudine Hemmer, conseillère Arts visuels). Dans un pays « des circuits courts » comme le Luxembourg où risquent de peser des dérives clientélistes, cette commission d’experts est chargée de veiller à l’indépendance des acquisitions. Elle doit aussi s’assurer de la complémentarité des fonds entre institutions culturelles, de la cohérence de la collection nationale à travers une juste représentativité entre artistes confirmés et artistes émergents, tout en menant par ailleurs un travail de prospection. Outre la création d’une plate-forme en ligne et d’expositions provisoires qui valoriseront la production artistique luxembourgeoise, d’autres travaux attendent Sam Tanson et son équipe. Comme l’épineuse question du stockage des collections nationales, aujourd’hui dispersées sur différents sites. Un problème d’espace que rencontre toute institution à un moment donné de son développement. Après une analyse globale effectuée en 2018 par l’Administration des bâtiments publics auprès des Instituts culturels de l’État, un chantier, devrait débuter à la fin de l’année 2022 pour accueillir le futur Centre national des collections publiques (CNCP) à Dudelange. Parallèlement, le ministère de la Culture travaille avec le Fonds du Logement pour déterminer la meilleure implantation possible du CNCP sur le site NeiSchmelz. Un véritable chantier culturel en perspective.

Loïc Millot
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