Travail intérim

Tremplin délaissé

d'Lëtzebuerger Land vom 04.03.2004

Un nouvel hiver, un nouveau record : fin janvier, 12 101 personnes au Luxembourg cherchaient un emploi, 1 808 de plus qu’il y a douze mois et le chiffre le plus élevé jamais recensé. Presque trois mille concernés bénéficient certes d’une mesure pour l’emploi, néanmoins le taux de chômage atteint 4,5 pour cent contre 3,8 pour cent début 2003. Ces chiffres traduisent aussi des fluctuations saisonnières. La lutte contre le chômage s’impose de plus en plus comme un sujet central du débat politique. Le sujet d’actualité est en effet le chômage et pas nécessairement l’emploi. Malgré la faible conjoncture, l’économie luxembourgeoise occupe aujourd’hui 5 600 personnes de plus qu’il y a douze mois, une progression de 1,9 pour cent. C’est moins que pendant les années de boom, mais - et c’est a priori une bonne nouvelle - on est loin de pouvoir parler d’une crise profonde de l’emploi. Force est de constater que malgré la hausse du chômage local, les nouvelles embauches profitent, comme lors du boom, lorsqu’on pouvait considérer le chômage en partie de « frictionnel », davantage aux frontaliers qu’aux résidents. Sur un an, l’emploi au Luxembourg a augmenté de 1 912 résidents, mais de près du double (3 700) de frontaliers. Les différences au niveau de la formation ne suffisent plus pour expliquer à elles seules ce décalage (cf. d’Land du 31 octobre 2003).1 Si en général, la relation entre résidents et non résidents est de deux contre un, il y a un secteur où le décalage s’élève même à quatre contre un : le travail intérimaire. Le taux de frontaliers dans les contrats temporaires négociés par les agences d’intérim tourne en effet autour de 80 pour cent. Le travail intérimaire ne représente certes que deux pour cent de l’emploi. Il vaut néanmoins la peine qu’on s’y arrête parce qu’il s’agit d’un secteur précurseur. Il compte parmi les premiers à indiquer les tendances à la hausse comme à la baisse du marché de l’emploi. Et depuis le début 2003, il pointe à la hausse - d’abord dans l’industrie et la construction, ensuite, en s’accélérant, aussi à nouveau timidement dans le tertiaire. Au troisième trimestre 2003, les derniers chiffres disponibles, 5 465 personnes bénéficiaient d’un contrat temporaire, le nombre le plus élevé jamais enregistré par le Statec. Le secteur de l’intérim est aussi intéressant parce qu’il s’agit d’un véritable cheval de Troie dans la recherche d’un poste avec contrat à durée indéterminé. « Dans le tertiaire, estime Aloyse Schambourg, trois quarts des intérimaires réussissent par cette voie à décrocher un emploi fixe. » Le président de l’Uledi, l’association des agences d’intérim, et directeur de Kelly Services se réfère cependant à l’époque de fortes embauches. La reprise au niveau des intérims dans ce secteur est encore trop récente pour en tirer des enseignements concluants. Dans d’autres secteurs, ce taux n’était cependant jamais aussi élevé. L’industrie manufacturière et la construction, les deux plus lourds utilisateurs du travail intérim, y recourent surtout pour des activités ponctuelles et moins en vue d’une augmentation définitive des effectifs. D’un point de vue formel, tout est en place pour que les demandeurs d’emploi résidents profitent au moins autant que les frontaliers des opportunités que peut représenter le travail intérim. En 1997 déjà, Administration de l’emploi (Adem) et Uledi ont conclu une convention-cadre réglant la collaboration entre ces deux adresses privilégiées pour les personnes à la recherche d’un travail. Les agences d’intérim s’engagent à communiquer leurs offres de mission à l’Adem, qui s’abstient en retour de concurrencer le secteur privé dans ce domaine. La collaboration fonctionne bien, aux dires des deux côtés. Sur initiative de l’Adem, quelque 1 900 chômeurs se sont présentés en 2003 aux différentes agences d’intérim en réponse à une offre de mission. Un chiffre en progression constante ces dernières années. « Beaucoup de demandeurs d’emploi s’inscrivent aussi de leur propre initiative à ces agences, » précise Jesper Voss de l’Adem. « Le passage par un emploi intérimaire reste encore un très bon moyen pour trouver un emploi stable ou, tout simplement ajouter une nouvelle expérience à son parcours professionnel, » retient l’administration dans son rapport annuel 2002. Surtout « les candidats ayant un profil ‘moyen’ (...) tirent généralement le plus grand bénéfice du support apporté par une société d’intérim, » note l’Adem. Les agences « pousseraient » les candidats, qui profiteraient aussi de l’urgence du besoin de l’entreprise utilisatrice. Les demandeurs d’emplois envoyés par l’Adem ne reçoivent cependant pas que des bonnes notes de la part des sociétés d’intérim. Les principaux reproches sont « leur manque de formation ainsi que le manque de flexibilité et de motivation quant aux contrats qui sont proposés ». « La motivation n’est pas toujours au niveau qu’on pourrait attendre, » constate aussi Aloyse Schambourg. Un des éléments qui joue est le niveau de la rémunération. Souvent, un contrat temporaire ne permet pas de revenir au même niveau de salaire qu’à l’ancien emploi. La différence sur le plan financier entre accepter un poste pour trois semaines ou se contenter de ses indemnisations de chômage à un taux de 80 pour cent du dernier salaire est souvent minime – même s’il faut préciser que seulement la moitié des demandeurs d’emploi bénéficient des allocations. En France, les indemnisations tombent vite à 57,4 pour cent du dernier salaire ; en Belgique, c’est 60 pour cent pour un célibataire, comme en Allemagne. Le marché de l’intérim est, selon une étude du centre Eures Luxembourg, dominé par les Français (70 pour cent), alors que les Allemands y sont presque absents. Pour ces derniers, cela s’explique entre autres par les différences de réglementation en la matière entre les deux pays. L’explication du succès des frontaliers réside aussi dans le profil recherché dans le travail intérim et des réponses que le marché de travail local peut y apporter. L’Adem enregistre ainsi un succès certain pour les profils administratifs à destination du secteur tertiaire. Dans l’industrie et le bâtiment par contre, où on cherche surtout des manœuvres, les résultats sont moins encourageants. Les règles du jeu varient aussi fortement entre les secteurs. Le tertiaire offre ainsi les contrats les plus longs. Dans l’industrie et le bâtiment, ce sont par contre les missions courtes et à brève échéance qui priment. Or, quand il s’agit de se présenter par exemple encore le jour même, « les résidents se révèlent beaucoup plus compliqués que les frontaliers, » selon le directeur de Kelly Services. De manière générale, la perception et la renommée du travail intérimaire varie fortement entre résidents et frontaliers. « En France, raconte Aloyse Schambourg, on recommande déjà à l’école aux étudiants de s’inscrire auprès d’une agence d’intérim afin de l’utiliser comme tremplin pour décrocher un emploi. » Ce serait plus prometteur que de répondre à des annonces d’emploi. Au Luxembourg, surtout pour les personnes qualifiées, l’approche serait plutôt qu’« on trouvera de toute façon quelque chose ». Parmi les résidents, les Luxembourgeois sont d’ailleurs presque complètement absents du marché de l’intérim. Ils ne représentaient, il y a quelques années, au total que quelque trois pour cent du total et rien n’indique que cela aurait fortement évolué depuis. Il y a fort à parier que les prochaines nouvelles recrues embauchées avec la reprise économique sortiront pour une partie non négligeable du contingent d’intérimaires que les entreprises ont appris à connaître. Aux agences d’intérim, on s’attend qu’avec la reprise, les profils demandés augmenteront à nouveau, offrant ainsi de nouvelles opportunités pour ceux qui ont perdu leur emploi ces dernières années dans le secteur tertiaire. « Le chômage, notait le Statec en septembre dernier, est en forte augmentation et le manque de main-d’œuvre qualifiée est toujours présent sur le marché, ce qui peut décourager les entreprises à embaucher du personnel à durée indéterminée et amènera ces dernières à combler leurs lacunes au niveau du personnel ‘en toute sécurité’ par des travailleurs intérimaires. » L’intérimaire peut donc aussi représenter une chance pour se confirmer dans la pratique dans un emploi pour lequel on ne serait jamais sélectionné sur dossier. Or, si seuls les frontaliers saisissent cette opportunité à leur pleine mesure, on connaîtra une raison de plus pour leur succès sur le marché du travail luxembourgeois.

1 L’article est repris dans le dossier « Politique économique » sur www.land.lu

Jean-Lou Siweck
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