Ministère de l'Économie

Laissez faire, laissez aller

d'Lëtzebuerger Land du 21.11.2002

Henri Grethen s'est fait avoir. Qu'il sera un des poids lourds du gouvernement n'avait pourtant jamais été mis en doute. Qu'il mettra la main sur le prestigieux portefeuille de l'économie, non plus. Il l'a même encore étoffé en y incluant l'ancien ministère de l'Énergie et la tutelle de l'Entreprise des P[&]T. Mais, trois ans plus tard, Henri Grethen ne se montre pas pour autant euphorique. Son ministère, a-t-il dû découvrir, ne lui offre guère de grandes opportunités d'influencer du jour au lendemain l'économie luxembourgeoise. 

La situation pourrait s'empirer. Après que le gouvernement ait remarqué à sa grande surprise qu'il existe en effet un lien entre la vie économique et le budget de l'État, il se pourrait que les électeurs découvrent un jour qu'il y a aussi une relation entre croissance et politique économique. Au plus tard à ce moment là, Henri Grethen devra se rappeler qu'il n'y a rien de plus suicidaire pour un politique en plein retournement conjoncturel que de faire part de sa conviction que le marché seul peut et va régler l'affaire.

Que l'économie n'a rien d'un « super-ministère » est pourtant évident à première vue. Il n'y a qu'à regarder les façades. Les finances, la communication, l'éducation, sans parler du ministère des Affaires étrangères : les autres départements gouvernementaux ne doivent pas se contenter d'un étage du Forum Royal, de plus en plus délabré. La découverte de son bureau restera ainsi pour Henri Grethen parmi les moments les plus décevants de son mandat.

Le ministère de l'Économie a pourtant un grand avantage sur beaucoup d'autres : il compte parmi ceux avec le nom le plus court et le plus clair. On peut donc excuser ceux qui croient que les responsabilités du ministre couvrent l'économie luxembourgeoise tout entière. Mais rien ne serait plus faux. Le Grand-Duché compte 288 000 emplois. La plus grande partie, désolé Henri, relève des classes moyennes : 100 000. La fonction publique, y inclus les CFL, représente dix pour cent : 28 500. Le secteur financier, couvert par Luc Frieden, compte 28 000 emplois directs. Même en faisant abstraction des services non-marchands, souvent conventionnés par les ministères de la Santé ou de la Famille, et du fait que le commerce extérieur est rattaché à l'Hôtel Saint Maximin, la responsabilité du ministre de l'Économie ne couvre même pas la moitié des salariés du pays.

S'y ajoute, que l'action la plus concrète du ministère consiste à distribuer, dans l'étroit carcan fixé par la Commission européenne, des subsides aux entreprises qui investissent ou se lancent dans la recherche. En 2001, l'application de la loi-cadre de développement et de diversification économiques a coûté quelque 33 millions d'euros. Plus de 475 emplois devraient certes être créés. Mais ce n'est probablement pas l'exercice le plus motivant pour un homme politique, d'autant plus s'il se veut libéral.

Le titre de ministre de l'Économie est avant tout un passe-partout. Le ministère est très présent : OCDE, Union européenne, Grande-Région. Pas un sommet ne se passe sans présence des économistes. Or, être assis à la table ne veut pas dire décider. Pire, quand les dossiers importants sont à l'ordre du jour, c'est le ministre des Finances qui occupe le fauteuil dans les réunions « Écofin ». Quant à son travail législatif, le ministère est avant tout une machine à transposer des directives européennes. Même dans le cadre de la promotion du site économique, le ministre se fait voler la vedette. Au Board of Economic Development, le rôle d'« ouvre portes » revient au Grand-Duc héritier.

De par son titre, le ministre de  l'Économie ne garde pas moins un rôle de donneur d'impulsions très attendu par les « forces vives de la Nation ». Enfin, s'il réussit à saisir les opportunités. Lors du dernier exercice du genre, le traditionnel discours d'ouverture de la Foire internationale, ce n'était pas trop le cas. « Die alljährliche Rede des Wirtschaftsministers zur Eröffnung der Herbstmesse wurde folglich mit viel Spannung erwartet, peut on lire dans l'éditorial du dernier Merkur. Mit neuen Ideen oder interessanten Denkanstößen konnte der Minister jedoch nicht aufwarten, » conclut l'organe de la Chambre de commerce. La politesse a évité qu'on revienne sur les services financiers, « destructeurs de la croissance », selon Henri Grethen. 

Au moins cette fois-ci, le ministre avait fait le déplacement. Douze mois plus tôt, il avait été remplacé par le ministre de la Coopération. Une absence guère appréciée par les milieux économiques. Henri Grethen, le libéral, a sans doute du mal à comprendre les attentes que ses auditeurs peuvent avoir par rapport à la politique. 

Le ministère de l'Économie offre pourtant une mine d'opportunités pour promouvoir le développement du Luxembourg, même si c'est souvent en partenariat voire en concurrence avec d'autres ministères. Il revient alors à l'énergie du ministre si oui ou non ses équipes s'imposent comme chefs de file dans ces projets. En matière d'aménagement du territoire, le ministère est responsable pour les zones commerciales ou industrielles. Il en est de même pour l'exécution des programmes européens de développement régional, à l'exemple de Feder ou Intereg. Les initiatives Leader tombent sous la coupe du département de l'agriculture. La protection des consommateurs est aussi une charge à potentiel du ministère. Les questions de concurrence par contre seront dorénavant confiées à un Conseil indépendant, alors que les brevets, avec les bio-technologies, posent de nouveaux défis. 

La dernière grande initiative novatrice du ministère de l'Économie date encore de l'ère Goebbels. Or, pas de chance, avec le changement gouvernemental c'est aussi l'étoile du commerce électronique qui a commencé à perdre de son lustre. C'est pourtant maintenant le moment crucial pour relancer la machine. Le commerce électronique illustre aussi le volet frustrant du travail d'un ministre de l'Économie : il crée un cadre, ouvre la porte aux entrepreneurs... et puis il ne lui reste rien à faire qu'à attendre que quelqu'un veuille bien saisir l'opportunité.

Un volet particulièrement important dans les missions du ministère est la promotion de la recherche. Avec des programmes comme Cluster, le Luxembourg essaie, par exemple, d'inciter les nombreuses entreprises industrielles implantées au pays à collaborer entre elles dans de nouveaux projets de recherche. Le but consiste dans l'ancrage de ces sociétés dans la structure économique alors qu'elles sont aujourd'hui des « investissements directs étrangers » qui peuvent trop facilement être délocalisés demain. 

Le succès de ces projets est primordial pour l'économie luxembourgeoise. D'un ministre, ils exigent cependant en outre de grandes orientations politiques, du « micro-management » peu visible et sans assurance de retombées médiatiques. Les verbes utilisés dans le rapport annuel du ministère ne sont pas « créer » ou « réaliser ». Non, il s'agit plutôt d'« encourager », de « dynamiser » et de « promouvoir ». On aurait néanmoins tort de les confondre avec du « laissez-faire ». Robert Goebbels, le prédécesseur de Henri Grethen, n'était sans doute pas davantage friand de cet aspect du job. Mais, de par sa famille politique plus interventionniste, il réussissait néanmoins à y trouver une motivation là où son successeur a beaucoup de mal à cacher qu'en fait, il s'ennuie.

Sur un volet, son ministère doit bien plaire à Henri Grethen. Il s'agit en effet d'un modèle d'outsourcing et d'orientation au secteur privé. Avec d'autres organes publics ou privés, le département de l'Économie est à l'origine de toute une série d'organisations prolongeant son action, à l'exemple de Luxinnovation et du Mouvement pour la qualité. Le Service de l'énergie de l'État fonctionne même, pour certaines de ses attributions, presque comme une entreprise privée. Il s'est en effet spécialisé dans les services d'homologation pour des entreprises internationales devant agréer leurs produits avant de les commercialiser sur le marché communautaire. 

Il reste que le ministère de l'Économie doit se poser la question de sa raison d'être. Chez nos voisins, seule la Belgique a encore un ministère des Affaires économiques, dont les compétences historiques ont cependant largement été régionalisées. En France, économie et finances ne font plus qu'un. En Allemagne, c'est le ministère du Travail qui a repris le département économique. Au Luxembourg, on devrait au moins s'interroger sur l'utilité de maintenir séparé le ministère de l'Économie d'une part de celui des Classes moyennes ­ qui gère le droit d'établissement ­ de l'autre. Après tout, il n'existe que 47 entreprises au Luxembourg qui comptent plus de 500 salariés.

 

Jean-Lou Siweck
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