Exposition de Patrick Saytour

Patrick Saytour, artiste (et) bricoleur…

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2013

C’est un peu la ronde, en donnant quand même à la qualification le meilleur des sens. Il est question de tels artistes qui se suivent à la galerie Bernard Ceysson, plus ou moins directement rattachés au mouvement Supports/Surfaces qui à la fin des années 1960 avait remis en question le tableau (de chevalet), plus généralement la peinture. Une succession d’expositions, tout dernièrement encore Claude Viallat, aujourd’hui Patrick Saytour, et avec des œuvres qui embrassent le large laps de temps, à voir donc comment théorie et pratique de jadis ou naguère ont évolué et tiennent le coup. En cela, un chapitre d’histoire de l’art qui se déploie, diachroniquement, voilà pour la ronde, et ces expositions qui se succèdent, il faut les prendre comme les salles d’un musée consacrant au mouvement une revue plus générale. À nous faire regretter encore plus que l’on était passé à côté à l’époque.

La mise en question du tableau, elle éclate dès l’entrée dans la galerie. Avec le seul nom des œuvres de la salle du rez-de-chaussée : Sol/Mur, ce qui dit bien ce que ça veut (ou doit) dire, passage de pièces quasiment destinées au sol, étendues par terre, qui passent au mur, accrochées comme des tableaux. Et le matériau en question ne fait que corroborer, c’est du balatum, des tranches, des bouts de balatum mis en collage, avec de l’acrylique. Ailleurs, c’est de tissu dont se sert Patrick Saytour, pour tels Brûlages, de tarlatane (tissu importé d’Inde) jointe à du carton ; il arrive quand même aussi à l’artiste d’utiliser de la toile. Et carrément, et plus ludiquement, de faire des assemblages d’objets, cela s’appelle alors Pincées.

Le visiteur a le choix. S’attarder d’abord aux Sol/Mur, de date toute récente, en haut, et aller ensuite seulement, à rebours, aux Pliages des années 1960, en passant par les Cônes, de 1977. Ou alors il descend d’emblée au sous-sol, et avance ainsi dans le temps, rejoint le présent. Quoi qu’il fasse, il ne quitte jamais un artiste qui sait parfaitement, et c’est avec les matériaux communs, banals, l’une des caractéristiques majeures de Supports/Surfaces, se faire rejoindre réflexion et poésie. Pratique critique en l’occurrence d’un art qui ne manque pas non plus de séduire.

Le balatum, dans les Sol/Mur, apporte de lui-même l’attrait de son coloris, de son dessin ; et là-dessus Patrick Saytour intervient pour greffer de la rigueur, imposer un zeste de géométrie. Et quand notre regard parcourt le mur de la salle, d’un côté quatre Sol/Mur, c’est comme l’histoire ou le déplacement, la pérégrination d’une tache jaune, éclatante, et le bonheur de l’accrochage.

Patrick Saytour est fondamentalement resté peintre, coloriste même, il est parallèlement bricoleur (tant soit peu facétieux dans les Pincées), plus constructeur ailleurs, voire géomètre. Il se fait de la sorte un captivant va-et-vient, dans les œuvres elles-mêmes, prises séparément, dans l’exposition dans sa totalité ; il en naît une tension, une vivacité, Inès Champey l’a exprimé joliment en disant que notre artiste conjugue allègrement les héritages de Duchamp et de Matisse, la beauté d’indifférence et le bonheur de peindre.

L’exposition de Patrick Saytour chez Bernard Ceysson, 2, rue de Wiltheim à Luxembourg dure encore jusqu’au 16 novembre ; infor-mations par téléphone : 26 26 22 08 ou mobile : 0033 6 08 07 02 79 ; site web : www.bernardceysson.com.
Lucien Kayser
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