Les députés en spectateurs d’un show antivax

d'Lëtzebuerger Land du 25.04.2025

Une heure et demie de divagations antivax en « live stream » sur chd.lu. Ce mercredi, Amar Goudjil a profité de son passage devant la commission des Pétitions pour ensevelir les députés sous un déluge de statistiques faites maison, d’anecdotes personnelles et de références pseudo-scientifiques, le tout accompagné d’une forte dose complotiste. Sa pétition demandant une enquête « sur la réalité sanitaire, statistique, scientifique et politique » du Covid-19 avait recueilli 4 986 signatures, lui donnant droit à son quart d’heure de gloire parlementaire. Le pétitionnaire, résident luxembourgeois de nationalité française, s’est présenté aux députés comme « un consultant en management », qui aurait étudié « les neurosciences et la programmation neurolinguistique pendant vingt ans ».

Il s’est illico lancé dans un best of du discours antivax. La vaccination aurait été un « viol physique et psychique », « un crime machiavélique organisé et planifié depuis longtemps ». Les vaccins auraient rendu les personnes « électromagnétiques » et provoqué « une explosion de cancers ». D’ailleurs toutes les vaccinations ne seraient qu’une vaste « tromperie » de l’industrie pharmaceutique, « un dispositif d’effraction et d’endommagement du système immunitaire chez l’enfant ». À plusieurs reprises, Goudjil a sommé les députés à se positionner par rapport à ses graphiques, leur lançant un défi : « Si vous ne trouvez pas de nanotechnologies dans les vaccins, j’accepte d’aller une année en prison ici au Luxembourg, à mes frais. Même deux années… »

Chez les députés, l’énervement était perceptible. Or, leur ton est resté étonnamment poli et diplomatique. Personne n’a pris la peine de déconstruire les déclarations de Goudjil. (La cellule scientifique de la Chambre l’avait pourtant fait dès janvier 2022 dans une note de recherche que personne n’a cité ce mercredi.) La députée ADR Lexy Schoos a même remercié Goudjil « fir dee ganz kloren Exposé ». Les autres députés se sont bornés à de courtes questions « de compréhension ». Ils semblaient surtout avoir hâte que le show se termine. L’ancienne ministre de la Santé, Paulette Lenert (LSAP), a brièvement rappelé le lien entre le début des vaccinations et la fin de la saturation des stations intensives. Elle aurait suivi « une étincelle de sagesse », restant calme pour ne pas faire le jeu de « victimisation » des antivax, dit-elle au Land. Sa successeure, Martine Deprez (CSV), s’est également affichée cool, avançant des chiffres : Sur 1,44 million de doses injectées, 2 500 cas d’effets indésirables ont été confirmés, dont plus de 70 pour cent classés comme « pas grave ». Puis d’ajouter sèchement : « Dat si Fakten. Ech kommen aus enger Spart, wou ee mat Fakte schafft ».

Les députés se sont montrés plus combatifs lorsque le pétitionnaire a (plus ou moins directement) mis en cause leur indépendance. Avec beaucoup de sous-entendus, Amar Goudjil a lancé : « Il y a partout des gens malhonnêtes. Même ici, vous aurez forcément des gens qui sont motivés par l’argent et qui vont dire : ‘Non, non, il ne faut surtout pas d’enquête parce que j’ai des actions chez Pfizer’. » La présidente de la commission, Francine Closener (LSAP), se montrait not amused : « Dat si scho bal Accusatioune vis-à-vis vun de Deputéierten ! » Même Schoos a ressenti le besoin de se distancier par rapport à « e puer Sätz déi ech perséinlech net gutt fannen ». Contactée par le Land, Closener dit avoir été « hin an hir gerappt ». Elle se serait demandé s’il ne fallait pas interrompre, voire arrêter le débat. Mais il n’y aurait pas de précédent à une telle intervention de sa part. Ce serait désormais à la Conférence des présidents de discuter de comment réagir à des pétitionnaires lançant de fausses accusations ou opérant avec de fausses informations. Sans surprise, la Chambre a opposé une fin de non-recevoir à la demande du pétitionnaire. Or, Closener l’a fait avec un argumentaire purement formaliste : Lancer une commission d’enquête à l’international, cela dépasserait « la mission » du Parlement : « Mir si dofir net outilléiert ». D’ailleurs les vaccins ne seraient pas produits au Luxembourg.

En amont, on pouvait penser que le débat était un simple vestige des années pandémiques. Mais ce mercredi, il est devenu apparent que les antivax sont gonflés à bloc. Ils se sentent légitimés, voire vengés par l’administration Trump. « Les Américains nous montrent la voie », a lancé Goudjil. Il s’est réjoui que « plusieurs membres de la Chambre des représentants demandent la poursuite pénale de toutes les personnes qui ont menti aux Américains et les ont manipulés ».

Bernard Thomas
© 2025 d’Lëtzebuerger Land