Pascal Schumacher, CD Drops & Points

Pascal Schumacher l’affranchi

Pascal Schumacher
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 17.03.2017

L’envie le démangeait depuis un bon bout de temps. Un jour, se disait Pascal Schumacher, il jetterait par-dessus bord les normes, les codes et les conventions de sa double formation de musicien classique et de jazz. Tout ce qu’il a appris comme règles et comme standards. La musique n’est-elle pas avant tout un plaisir sensuel, une histoire de liberté ? Son collègue et ami de jeunesse Francesco Tristano Schlimé, avec lequel il a fait un bon bout de chemin déjà et joué dans des formations comme Khaliféschumachertristano (Afrodiziak, 2015), ne s’est-ils pas affranchi des conventions et des classifications, estimant que ce que faisait Bach à l’époque, à savoir du rythme avant tout, n’était pas si différent de la techno d’aujourd’hui ? Schlimé compose ses propres morceaux électro et peut jouer debout en jean et baskets dans un club à Ibiza un soir et en smoking devant un public huppé dans une salle de concert de premier ordre le lendemain. L’hybridation est désormais le maître-mot de la musique.

Ce projet de s’affranchir des codes et de sortir de la case jazz, Pascal Schumacher le réalise avec son nouveau disque, Drops & Points, un album conceptuel avec lequel il prend le virage électro. Et qui sera présenté deux ans jours pour jour après la sortie de son précédent opus, Left Tokyo Right, dont le dernier de 45 concerts vient de clôturer sa tournée, à Marnach. Comme souvent en arts, Drops & Points est avant tout une histoire de rencontres, cette fois avec Maxime Delpierre, guitariste français qui est de quatre ans son cadet (Pascal a 38 ans), et qui a travaillé avec des gens comme Jane Birkin, Damon Albarn ou Jeanne Added. À eux deux, ils constituent le cœur du projet, le binôme qui a aussi écrit et composé les sept titres. Sur scène, ils seront rejoints par Jeff Herr à la batterie – et par un quatuor à cordes, « le phantasme de tout musicien » sourit Pascal Schumacher. L’album est « conceptuel » parce que non seulement il constitue un tournant dans l’œuvre du vibraphoniste et compositeur, mais aussi et surtout parce que sur scène, sa présentation sera autant sonore que visuelle : le collectif parisien Scale a imaginé une narration abstraite avec une série de cinq écrans ronds, comme des lunes venant amplifier l’imaginaire du public, déjà nourri par la musique si onirique. Le spectacle a été mis en place lors d’une résidence à la Rockhal en janvier.

« Je crois que nous nous situons à un moment-charnière pour la musique », affirme Pascal Schumacher lors d’un entretien avec le Land. Parce que, en réaction à la surstimulation quotidienne et à l’accélération des modes musicales par les nouveaux procédés de distribution et d’écoute, beaucoup de gens prennent le contrepied et choisissent de s’asseoir tranquillement pour écouter un disque, peut-être même un vinyle, sur une bonne stéréo. Drops & Points est idéal pour cela, c’est même un disque qui ouvre de nouvelles voies, des niveaux supplémentaires de complexité lors d’une écoute à plein volume et en toute concentration. Bien qu’il puisse tout aussi bien tourner en boucle en arrière-fond.

Chacun des titres est un voyage sensuel à lui seul. Comme le deuxième morceau, Dots (c’est vrai que les titres des chansons ne sont pas très originaux, toujours dans l’association aux points et aux gouttes) : cela commence avec un beat électro et du piano, auquel s’ajoutent ensuite le vrombissement de basses électroniques, avant que, à la quatrième minute, il y ait un autre crescendo grâce à la guitare. Sur ce disque, Pascal Schumacher s’avère multi-instrumentiste : à côté de son vibraphone de prédilection, il joue du glockenspiel léger, mais aussi des synthés, qui constituent la base de ce disque. Tourner des boutons et brancher un maximum de machines, voilà une compétence qu’il s’est appropriée en autodidacte – et avec l’aide de ses amis musiciens et/ou ingénieurs du son. Avec Drops & Points, Pascal Schumacher prouve à nouveau qu’il sait faire des musiques de film, des voyages à travers des tapis sonores et des ambiances sensuelles – sans les films. Son émerveillement presque enfantin pour la beauté des sons et de la vie en général fait penser à Ludivico Einaudi en musique ou à Terrence Malick au cinéma. Il y a pire comme références.

Drops & Points de Pascal Schumacher est disponible en CDvinyle ou en téléchargement chez Modulating Music ; le concert de à la Philharmoniele 25 marsse joue à guichets fermés ; www.pascalschumacher.com.

josée hansen
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