Le développement des mesures de prévention primaire pour favoriser l’exercice d’une parentalité responsable et faire diminuer le nombre d’enfants souffrant de troubles psychologiques

Un appel aux partis politiques

d'Lëtzebuerger Land vom 11.10.2013

Dans un rapport fouillé, publié en 2010 sur l’initiative du ministère de la Santé, et qui porte le titre de Stratégie nationale pour la promotion, la prévention, la prise en charge et l’intégration en faveur de la santé mentale des enfants et des jeunes au Luxembourg », il est question qu’en Europe, « chaque année, entre dix et vingt pour cent des enfants et adolescents souffrent de troubles émotionnels, du développement psychologique, du comportement ou de problèmes de dépendance à des produits nocifs. Plus de la moitié des concernés présentent des troubles graves qui nécessiteront une intervention thérapeutique plus ou moins longue, dont un oour cent en traitement stationnaire ». Ces troubles ont un coût financier élevé sans parler qu’ils sont le germe et le fondement de difficultés encore plus importantes qui vont perdurer et se développer à l’âge adulte. Ces difficultés doivent nous interpeller sur les causes de ces troubles  et surtout, dans une logique de prévention, sur les mesures qu’il faut mettre en place pour les éviter.

Ce rapport prône qu’une « approche centrée sur l’enfant et sa famille donne à la santé un statut de ressources à conserver et à développer tout au long de sa vie. » Aussi les compétences parentales sont d’avantage à soutenir dès la naissance de l’enfant jusqu’à son adolescence par des offres multiples en formation et soutien. Ce souci de formation est compris comme une issue possible pour fortifier la compétence des parents.

De nombreux éducateurs, enseignants, des professionnels de la santé ne manquent pas de nous interpeller lorsqu’ils constatent une augmentation du nombre d’enfants qui présentent des carences affectives et éducatives. Ces enfants sont issus de toutes les classes sociales. Force est de constater que ce n’est pas seulement la fréquence de ces cas qui est en recrudescence, mais aussi l’intensité de la problématique. Ce qui est particulièrement alarmant, c’est le fait que ces difficultés apparaissent chez des enfants de plus en plus jeunes. Dans notre pays, nous faisons le constat que ce n’est souvent que lors de séjours en maison relais ou à l’école qu’ils sont constatés et donnent alors lieu à de la préoccupation. Il faut reconnaître que c’est fort tard et il faut se questionner sur les causes qui font qu’un constat n’a pas été fait plus tôt.

Les raisons invoquées pour expliquer ces phénomènes d’enfants en proie à d’importants troubles psychologiques sont multiples. On évoque l’évolution de la famille avec une des conséquences qui est l’éclatement de la famille, qui fait que le tissu relationnel dont dispose l’enfant s’est fortement réduit. On évoque également la précarité des familles qui fait que les parents sont souvent très sollicités pour répondre à des nécessités financières qui leur permettent de répondre à leur aspiration en termes de bien-être économique ou tout simplement à leurs besoins primaires. Chez les parents, il y a souvent une méconnaissance des besoins des enfants dans la petite enfance : ceux-ci se construisent à travers un lien avec un nombre fort limité de personnes. Cette méconnaissance crée une grande insécurité  auprès des parents quant à leur fonction parentale, ce qui tend à fragiliser leur relation éducative.

L’individualisation des projets de vie qui est un défi pour de nombreuses personnes en quête d’un développement personnel, fait que l’éducation de l’enfant ne figure plus parmi les priorités. Et cela alors même que nous savons que l’enfant pour grandir a besoin de personnes qui sont à sa disposition et cela de façon continue et stable.

La croyance et la conviction très répandues que les structures d’accueil extra-familiales, voire l’école, sont des lieux primaires d’éducation, alors que ces lieux doivent être compris dans la complémentarité : ils sont dans l’incapacité de remplacer l’éducation des enfants par leur famille.

Il existe un discours « officiel » qui accorde une large place et la disponibilité de moyens financiers très importants pour favoriser le développement des maisons-relais et des foyers de jour et qui contribue à faire oublier que la parentalité reste essentielle pour bien répondre aux besoins des enfants. Et l’on peut se demander si ce discours ne contribue pas à faire le lit de cette déresponsabilisation croissante que de nombreux professionnels observent auprès de beaucoup de parents qui font une utilisation abondante et souvent peu critique des services rendus par les structures extra-familiales.

En dernier lieu il y aurait beaucoup à dire sur la notion de l’enfance elle-même, qui est perçue de façon différente selon l’évolution historique et en fonction des cultures. Grâce au développement des sciences de l’éducation, cette conception a abouti à accorder à l’enfant une place à part entière : il s’agit de prendre l’enfant pour ce qu’il est, avec son regard qu’il a du monde. Ce n’est pas un adulte en miniature comme on le perçoit encore souvent au Luxembourg, plus encore dans les familles qu’auprès des professionnels. Les besoins des enfants doivent être pris très au sérieux, non pas comme des caprices ou des banalités qui vont disparaître une fois qu’on s’en est détourné.

La prévention est une solution pour éviter le développement de problèmes. Un certain nombre d’organisations se sont attachées à travailler dans ce domaine : je ne ferai évoquer ici que l’Initiativ Liewensufank qui opère depuis de longues années. Et je parlerai de façon un peu plus approfondie de l’École des Parents que j’ai créée il y a un peu plus de dix ans et qui s’est engagée dans le travail de prévention destiné aux futurs parents. Ce que nous proposons actuellement n’est qu’une facette d’un programme plus vaste qui vise à sensibiliser les parents au plus tôt et à détecter les difficultés relationnelles à un stade précoce.

Depuis 2006, l’École des Parents intervient dans toutes les maternités du pays et offre aux futurs parents un cours d’environ deux heures sur le thème : « On ne naît pas parents ». Toutes les femmes enceintes peuvent s’y inscrire, de même que les futurs pères, ce que nous recommandons vivement. Ces séances sont organisées en collaboration avec les maternités qui, dans certains cas, les intègrent dans leur offre de cours qui, eux, portent plus sur le déroulement de l’accouchement et l’allaitement. Pour la mise en place de cette activité, nous comptons sur l’accueil et l’intérêt des équipes soignantes ce qui sur toutes ces années a été un avantage pour nous. Nous sommes néanmoins tributaires de nombreux facteurs qui font que l’intégration de ces cours dans le fonctionnement des maternités peut varier. Le retour que nous obtenons de la part des participantes et des participants est toujours fort positif. Il est vrai que ce séminaire se fonde sur le développement de ressources et vise à encourager les parents et à développer leurs compétences.

Le contenu tient en quelques points essentiels : Pourquoi l’enfant a-t-il besoin d’éducation ? Quel est l’importance des parents dans la construction de sa personnalité ? Pourquoi un couple parental est-il différent du couple conjugal ? Que dit la loi au sujet des enfants et des parents ?

Nous pouvons offrir ce cours actuellement en cinq langues : français, allemand, anglais, luxembourgeois et portugais.

Ces cours sont interactifs, donc il ne s’agit pas de cours magistraux : les futurs parents sont invités à s’échanger entre eux et à faire part de leur expérience. En outre nous insistons beaucoup sur la diversité des approches qui peuvent exister, mais aussi qu’il y a des points qui ne souffrent pas d’approximations : on ne tape pas les enfants, les pères sont importants, les enfants ont besoin d’éducation et aussi de lien… Sans lien qui le tient, un enfant ne peut pas bien grandir !

Comme le montrent nos statistiques, ces cours, qui sont en moyenne au nombre de 90 par année, sont fréquentés par environ cinq à sept pour cent de la population des femmes enceintes. Dans environ deux cas sur trois, le futur papa participe à la séance.

C’est bien, mais largement insuffisant à de nombreux égards : il s’avère nécessaire de développer des stratégies plus ciblées. Aussi accueillons-nous souvent des futurs parents qui sont fort motivés, qui sont déjà préparés, rarement ceux dont on peut anticiper qu’ils pourraient rencontrer des difficultés. Les relais ne fonctionnent pas à notre satisfaction, car nous aurions besoin d’une plus grande contribution des gynécologues et du personnel de soins pour mobiliser ces parents. Comment faire pour inciter plus de parents à assister aux cours ? Aussi estimons-nous que l’offre doit être plus large et qu’il faudrait offrir non pas un, mais deux cours avant la naissance et un autre encore après la naissance de l’enfant pour mettre l’accent sur le lien qui est tellement important pour l’enfant. L’offre devrait être aussi plus spécifique pour les parents qui ont déjà un enfant et où se pose la question de la fratrie.

Nous souhaiterions que les partis politiques et le prochain gouvernement s’engagent pour que les futurs mères et pères puissent disposer d’une information basique sur les besoins de leurs enfants à naître ou qui viennent de voir le jour : des cours qui les sensibilisent aux bonnes pratiques éducatives, qui insistent sur le fait que les enfants ont besoin de lien avec des personnes de référence, que des méthodes éducatives fondées sur l’autoritarisme ne sont pas indiquées

Il y a lieu d’anticiper dans ces cours sur l’utilité des structures d’accueil pour le développement de l’enfant. Et surtout d’insister que ces structures, tout comme l’école d’ailleurs, ne seront que complémentaires par rapport au rôle des parents. Ces  « formations » doivent impérativement s’adresser aussi aux pères pour que ceux-ci puissent dès le début s’impliquer dans l’éducation des enfants. Nous pensons que des cours en groupe pourront porter sur deux séances pendant la grossesse des femmes et un ou deux cours après la naissance. Il est important de souligner que cette démarche que nous faisons aujourd’hui avait déjà été faite en 2004 : nous étions intervenus auprès des partis politiques pour les sensibiliser à cette thématique. L’accueil réservé à ces idées à l’époque avait été fort positif, la preuve en a été qu’elles avaient été retenues dans le programme de coalition du gouvernement.

Des discussions ont bien eu lieu dans la foulée et ont duré près de deux ans. Mais en fin de compte, tout cela n’avait pas abouti ! Il avait été question que cela ne pouvait pas être géré pour autant que ces mesures allaient être difficiles à mettre en place pour des personnes travaillant au Luxembourg, mais vivant dans des pays frontaliers.

Il coule de source que nous revenons à charge : les préoccupations restent les mêmes, elles sont devenues encore plus grandes.

Après mûres réflexions, nous pensons qu’une action doit s’inscrire dans les mesures de prévention qui existent déjà et sont destinées aux futures mères. De quoi s’agit-il ? Actuellement l’attribution d’une allocation de naissance est acquise pour la mère pour autant qu’elle ait veillé à ce que sa grossesse ait été encadrée médicalement et que le petit enfant examiné régulièrement par un médecin durant les deux premières années de sa vie. Au fur et à mesure que ces conditions sont remplies, cela donne droit à une allocation qui est divisée en trois tranches : l’allocation prénatale (première tranche), l’allocation de naissance proprement dite (deuxième tranche) et l’allocation postnatale (troisième tranche) qui, elle, est payée alors que l’enfant a deux ans.

Rien ne justifie aujourd’hui que seule la prévention en termes de santé physique doit être prise en compte dans le cadre de ces mesures : tout ce qui tourne autour du développement psychologique de l’enfant, de la parentalité est éminemment important. C’est la raison pour laquelle il faudra étudier de quelle façon l’attribution de l’allocation de naissance ou d’une partie de celle-ci devra être conditionnée au fait que les parents aient fréquenté des cours.

L’objectif poursuivi est de développer dans ce domaine des solutions pour éviter des problèmes et non pas seulement des solutions pour résoudre les problèmes.

L’auteur est psychologue et travaille à la Fondation Kannerschlass (gilbert.pregno@kannerschlass.lu)
Gilbert Pregno
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