Centre

Dans la bulle post-matérialiste

d'Lëtzebuerger Land du 19.10.2018

Selon l’Indice socio-économique par commune publié par le Statec en juin 2017, la ceinture entourant la capitale (Niederanven, Sandweiler, Contern, Weiler-la-Tour, Bertrange, Strassen) sont quasi vides d’ouvriers. Le pourcentage des personnes travaillant dans des professions « de bas niveau » s’y situe en-dessous des dix pour cent, contre 24-32 pour cent dans les villes ouvrières du Sud (Pétange, Differdange, Esch-sur-Alzette) et du Nord (Ettelbruck, Wiltz, Vianden).

Le combat entre les trois prétendants s’est donc joué dans une bulle, celle de la classe moyenne luxembourgeoise. C’est Xavier Bettel (DP) qui, en perdant seulement un millier de voix, l’a remporté avec 30 774 votes. C’est largement plus que Claude Wiseler (CSV) qui, réunissant 27 388 voix, n’aura pas réussi à significativement réduire l’écart. L’homme qui prétendait avoir un plan n’aura gagné que 798 voix par rapport au dernier scrutin. Il a rassemblé moins de voix que Luc Frieden en 2013 et beaucoup moins que ce même Frieden en 2009, à son heure de gloire (41 889 voix). Électoralement, Etienne Schneider (LSAP) se retrouve, lui, hors-jeu. Il perd presque 3 000 votes et ne réunit plus que 16 872 voix. Ses prédécesseurs Robert Goebbels (18 207 voix en 1999) et Jeannot Krecké (25 589 voix en 2009), qui occupaient pourtant le même ressort ministériel et s’inscrivaient dans la même tendance blairiste, avaient fait mieux.

Le CSV (29,1 pour cent) perd plus de six points de pourcentage par rapport au dernier scrutin. La surprise a été créée par Serge Wilmes qui monte de 18 949 à 20 809 voix. Le jeune apparatchik laisse derrière lui les vieux pontes du parti Viviane Reding (qui finit quatrième) et Laurent Mosar (passé de la troisième à la sixième position). Wilmes prend la deuxième place, devant Diane Adehm élue troisième. Que ces députés quasi-invisibles à la tribune du Parlement aient réussi à s’imposer révèle la fatigue qu’inspire la vieille garde du parti. L’avocate et présidente du CSJ, Elisabeth Margue, et la jeune maire de Larochette, Natalie Silva, auraient glissé dans la Chambre… si le CSV était entré au gouvernement. Paul Galles, prêtre défroqué, « djeune » professionnel et virtuose des réseaux sociaux, se fait élire du premier coup.

Le DP (24,2 pour cent) perd un point de pourcentage et un siège. La ministre Corinne Cahen passe de la cinquième à la deuxième position tandis que les vieilles dames libérales Lydie Polfer et Simone Beissel se maintiennent, elles, à la troisième, respectivement à la quatrième place. Si les trois membres libéraux du gouvernement issus du Centre retrouvent leur fauteuil ministériel, les députés sortants Frank Colabianchi, Claude Lamberty et Joëlle Elvinger pourront continuer à siéger au Marché aux Herbes. L’échevin Patrick Goldschmidt et la conseillère d’État Héloïse Bock, travaillant tous les deux dans la finance, l’un comme gérant d’une fiduciaire, l’autre comme avocate, se classent neuvième et dixième sur la liste. Ce qui donne un indicateur de la déconnexion entre élites politiques et élites économiques.

Déi Gréng (16,2 pour cent) gagnent plus de cinq points de pourcentage. François Bausch, l’idéologue en chef du parti, passe de 11 598 à 19 889 voix. Les conseillers communaux de la Ville (tous les deux des anciens de RTL-Radio) Sam Tanson et François Benoy réussissent à doubler leurs scores ; tandis que Charles Margue, catho de gauche, intellectuel organique de RTL et fils du député ultra-conservateur Georges Margue, réussit son entrée au Parlement.

Le LSAP (11,7 pour cent) continue sa chute – apparemment sans fin – et perd trois points de pourcentage. Dans les communes de Hesperange et de Bertrange, les socialistes passent même en-dessous des dix pour cent. Le toujours hilare Marc Angel finit deuxième. Le député Franz Fayot, qui avait tenté de se démarquer en critiquant certaines excroissances de la place financière, améliore son score personnel (passant de 8 468 à 9 347 voix), mais cela n’aura pas suffi pour se faire réélire. La secrétaire d’État et prosélyte du « nation branding », Francine Closener, gagne mille voix et se classe quatrième.

L’ADR (6,8 pour cent) gagne deux points de pourcentage. Le député-avocat Roy Reding (qui est passé de 5 622 à 6 319 voix) garde donc son siège au Parlement sans que son confrère Alex Penning n’ait réussi à l’y rejoindre.

Déi Lénk (5,7 pour cent) avance d’un point de pourcentage. L’écart entre les résultats dans le Sud ouvrier et le Centre huppé n’est plus que très marginal (0,24 point de pourcentage) pour ce parti de l’extrême gauche ; il était encore du simple au double en 1999. Le député David Wagner fait plus que doubler son score et passe à 8 988 voix. La deuxième placée, Nathalie Oberweis, permanente du Comité pour une paix juste au Proche-Orient (et fille de l’ancien député CSV Marcel Oberweis), devrait le remplacer en 2020, suivant le principe de rotation.

La Piratepartei (5,1 pour cent) fait une percée spectaculaire. Dans la circonscription du Centre, la raison d’être du parti se réduisait à faire tourner la machine électorale pour Sven Clement, son fondateur. Mission accomplie.

Bernard Thomas
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