Chroniques de la Cour

Appel à candidature

d'Lëtzebuerger Land vom 08.05.2020

Koen Lenaerts sera-t-il toujours président de la Cour en octobre 2021 ? Verra-t-on les mêmes juges slovène, polonais ou grec dans les rues de Luxembourg ? Le 14 avril dernier, Koen Lenaerts envoie une lettre aux États membres leur rappelant que, dans un an et demi, quatorze des vingt-sept juges de la Cour seront en fin de mandat. Il doit savoir si leur mandat va être renouvelé et ceci, le plus tôt possible, pour ne pas nuire au travail collectif de l’institution basée au Kirchberg. La liste des juges dont le mandat expire le 6 octobre 2021 est intéressante. On y remarque que trois juges de Pays de l’Est sont là depuis 2004, année du grand élargissement de l’UE. Mine de rien, ils font partie des vétérans. Mais le champion de longévité toutes catégories est indiscutablement le président actuel, le Belge Koen Lenaerts. Arrivé très jeune, à 36 ans, au Tribunal européen lors de sa création en 1989, il est passé à la Cour en 2003. Trente ans de services auprès de cette juridiction. La plus longue carrière pour un juge européen jamais enregistrée. Il peut rester encore six ans, bien sûr. Mais avec ses clés de répartition linguistiques, entre Flamands et Francophones, pour son personnel diplomatique, politique et judiciaire, la Belgique peut être imprévisible. Certains estiment qu’en ne lui donnant pas un nouveau mandat, elle se priverait d’un juge dont même les adversaires reconnaissent la stature intellectuelle.

On trouve aussi sur cette liste la vice-présidente de la Cour, Rosario Silva de Lapuerta, 66 ans en poste depuis 2003. Si elle veut rester, elle dépend (du moins en ce moment) du bon vouloir du gouvernement Sanchez, lequel a déjà renvoyé dans leur foyer les deux juges espagnols du Tribunal européen, recrutés par le gouvernement Rajoy. Le Slovène Marko Ilesic est là depuis 2004. À 73 ans, ce passionné de football (il a été juge à la cour d’appel de l’UEFA et de la Fifa) peut vouloir changer d’horizon. Dans ce cas, la Slovénie devra chercher un remplaçant, elle qui, déjà, peine à sélectionner deux candidats pour les deux postes de juges au Tribunal européen. Trois juges à trouver en même temps, c’est dur ! Un scenario un peu semblable en Slovaquie. Si Daniel Svaby, 69 ans, arrivé aussi en 2004, décidait de quitter la Cour, la Slovaquie devrait lui chercher un remplaçant. Elle a déjà un mal fou à trouver un juge pour le Tribunal européen depuis que le comité de sélection de l’UE – dit comité 255 - lui a refusé coup sur coup quatre candidats. En trouver un autre relèverait du casse-tête. Dans la catégorie « juge indécis », ceux qui souvent disent qu’ils veulent partir mais qui sont toujours là, les Hongrois classent leur compatriote Endre Juhász, 76 ans, arrivé en 2004. Il pourrait s’être décidé à quitter la cour en 2021.

Le juge polonais Marek Safjan, 71 ans, n’est pas en odeur de sainteté auprès du gouvernement polonais qu’il a critiqué publiquement pour ses violations de l’État de droit. Arrivé en 2009, il est peu probable qu’il reste si la situation en Pologne demeure. Le mandat du Luxembourgeois François Biltgen, 62 ans, arrive aussi à expiration. Juge depuis 2013, il a été le premier Luxembourgeois à être proposé à l’issue d’un appel à candidature, même si le manque de transparence de la procédure, à l’époque, avait fait jaser. Ce poste représente, dit-il, une « belle conclusion » à sa carrière. On imagine qu’il se porte candidat au renouvellement à la lumière de sa surprenante apparition sur lessentiel.lu où il évoque la méthode de travail et les « bons petits repas » dégustés avec son épouse. Camilla Toader, 57 ans, est un cas à part. La rumeur veut qu’elle postule pour un nouveau mandat. En 2016, les Roumains au Luxembourg se demandaient quels étaient ses appuis politiques pour avoir été reconduite dans ses fonctions, contre toute attente. La gestion polémique du personnel de son cabinet (d’Land du 28.2.2020) n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire à la Cour. Reste à savoir si Bucarest va tenir compte de ses dérives pour trouver un autre candidat ou si le renouvellement de son mandat est d’actualité. À noter que la Grèce, l’Estonie, la Croatie, le Danemark et l’Irlande doivent se prononcer sur les mandats de, respectivement, Michail Vilaras (arrivé en 2015), Küllike Jürimäe (2013), Sinisa Rodin (2013), Lars Bay Larsen (2006) et Eugene Regan (2015). Le maintien en poste du Finlandais Niilo Jaaikkinen, ancien avocat général à la Cour (2009-2015) n’est qu’une formalité puisqu’il est arrivé au mois d’octobre 2019, en remplacement du démissionnaire Allan Rosas.

Les juges britanniques étaient les seuls qui, une fois nommés, pouvaient rester autant de mandats qu’ils le désiraient sans que le Royaume-Uni ne fasse aucun contrôle ou pression dans un sens ou dans un autre. Pour tous les autres pays, les anciens juges s’accordent à dire que l’obtention d’un nouveau mandat, pour ceux qui désirent rester, ne va pas de soi. L’un d’entre eux, un Espagnol, disait que les juges se formaient pendant deux ans à leur nouveau métier. Ensuite, s’ils se mettent sur les rangs pour rester plus de six ans, et s’il y a de la concurrence, ils passent la dernière année de leur mandat en cours à faire la navette entre Luxembourg et leur capitale, le but étant de persuader leurs gouvernants qu’ils sont toujours les meilleurs. Pour éviter ces allées et venues, l’ancien juge espagnol préconisait un mandat de neuf ans, non renouvelable.

Dominique Seytre
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