Femmes en politique

L’inquiétant retour du masculinisme

d'Lëtzebuerger Land vom 19.10.2018

Durant les dernières semaines, pour mettre en perspective les élections, le Luxemburger Wort publia une chronique des gouvernements successifs depuis l’après-guerre, des textes historiques accompagnés de photos de famille des équipes gouvernementales, en règle générale des hommes dégarnis et bedonnants en costume foncé. Il fallait attendre l’arrivée de Madeleine Frieden-Kinnen (CSV, 1967), Colette Flesch (DP, 1980) ou Mady Delvaux-Stehres (LSAP. 1989) pour voir se féminiser un peu ce domaine réservé aux hommes. À partir des années 1990 et la présence de plusieurs femmes – aussi Marie-Josée Jacobs et Erna Hennicot-Schoepges, CSV, ou Anne Brasseur et Lydie Polfer, DP, selon les coalitions –, et l’introduction de quotas dans les partis et pour les listes électorales, on en était arrivé à la conviction que le monde politique s’était normalisé et adapté à la parité qui existe tout naturellement dans la société.

Or, cette campagne électorale et les résultats du scrutin prouvent qu’il n’en est rien. Les candidats têtes de listes les plus exposés dans les débats télévisés et sur le terrain étaient tous des hommes : François Bausch ou Felix Braz pour les Verts, Etienne Schneider pour le LSAP, Xavier Bettel pour le DP, Claude Wiseler pour le CSV, Sven Clement pour les Pirates, Gast Gibéryen pour l’ADR ou Marc Baum/David Wagener pour La Gauche… Parfois, la présidente du parti et co-tête de liste du DP, Corinne Cahen, remplaçait Xavier Bettel – et s’entendit tout de suite, surtout les derniers jours, faire la remarque qu’on aurait préféré Xavier Bettel. Seuls les Verts mettaient consciemment en valeur leurs femmes, Sam Tanson, Carole Dieschbourg ou Josée Lorsché. Mais lors de la grande table-ronde de soirée électorale de RTL, dimanche, il n’y avait à nouveau que des hommes autour de la table (à l’exception de la journaliste Caroline Mart).

Les résultats des urnes ne sont alors que la conséquence directe de cette politique conséquente des partis d’ignorer les femmes – ou du moins de ne pas les valoriser. En 2013, pour une moyenne de 33,5 pour cent de candidates sur les listes, tous partis confondus, elles furent 24,9 pour cent d’élues au parlement, chiffre qui augmenta au gré des différents remaniements. Cinq ans plus tard et malgré une augmentation considérable de femmes sur les listes des dix partis (45,8 pour cent), elles ne sont plus que vingt pour cent d’élues, soit douze femmes sur soixante députés. S’il est encore compréhensible que l’ADR, très masculin dans tout son appareil, n’ait aucune élue féminine parmi ses quatre sièges, et que les Pirates ne font que commencer et sont déjà fiers de décrocher deux sièges pour deux hommes, La Gauche affiche le même score, deux élus, deux hommes – probablement parce que les deux députés sortants sont les plus connus du parti. Pour sa défense, La Gauche peut invoquer le bienfondé de son système de rotation : à mi-mandat, deux femmes, Myriam Cecchetti au sud et Nathalie Oberweis au centre, viendront remplacer les deux hommes.

Les Verts affichent un profil plus équilibré : un tiers de femmes, trois sur neuf : Sam Tanson, deuxième élue au centre, Josée Lorsché au sud et la ministre Carole Dieschbourg à l’est, cette dernière avec une spectaculaire progression des voix, doublant son score de 2013 à 9 752 voix. En partant du principe que plusieurs députés passeront au gouvernement, d’autres femmes, surtout des jeunes, comme Djuna Bernard ou Stéphanie Empain pourraient suivre. Le CSV, lui, a une proportion plus élevée d’élues, six femmes sur les 21 mandats : Diane Adehm, Viviane Reding, Nancy Kemp-Arendt et, dans les petites circonscriptions, Martine Hansen, Françoise Hetto et Octavie Modert. Le DP, traditionnellement opposé à l’idée même de quotas, ne compte que trois élues sur douze mandats, mais s’en sort pas mal au centre avec Corinne Cahen (qui fait un score spectaculaire), Lydie Polfer et Simone Beissel. Aucune femme dans les autres circonscriptions, pas même en suppléantes.

Mais le pire de tous les partis est le LSAP, où aucune femme n’a été élue sur les dix mandats qui lui restent. Même les membres sortantes du gouvernement, Lydia Mutsch et Francine Closener, ne sont pas réélues. Les premières femmes sur les listes seraient Taina Bofferding au sud et Tess Burton à l’est, qui feraient leur entrée au parlement si les premiers élus participent au gouvernement Gambia II. Bofferding fait au moins partie des négociateurs du LSAP pour ce gouvernement.

Ce retour du masculinisme est désespérant, car il n’est pas le fruit du hasard, mais dans l’air du temps. La question du genre n’a guère été thématisée durant la législature écoulée, or « les droits des femmes ne sont jamais acquis », disait Simone de Beauvoir. Dans le livre Mit den Haien streiten, que vient de publier le Cid-femmes, des pionnières en politique, comme Astrid Lulling (CSV), Colette Flesch (DP) ou Mady Delvaux-Stehres (LSAP) racontent leur parcours semés d’embûches, comment elles ont avancé, en se blindant, mais aussi en étant encouragées par des mentors féminins ou masculins (Nelly Moia, Ben Fayot, Gaston Thorn…). Et comment elles se sont battues pour faire évoluer la politique sociétale en faveur des femmes, en leur permettant une vie économiquement, politiquement et socialement indépendante. Elles l’ont fait par nécessité et par souci d’équité. Le gouvernement sortant a libéralisé l’avortement, introduit le mariage pour tous et encouragé le congé parental des hommes. C’est très peu, en comparaison avec ce qui reste à faire, par exemple en faveur des femmes monoparentales, nombreuses à vivre sous le seuil de pauvreté.

Germaine Goetzinger, Sonja Kmec, Danielle Roster & Renée Wagener (éd.) . Mit den Haien streiten – Femmes et genre au Luxembourg depuis 1940 : photos par Véronique Kolber ; Cid-Fraen a Gender & Capybarabooks, octobre 2018 ;
392 pages, 29 euros

josée hansen
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