CD Flowers from Exile de Rome

Ni dieu ni maître

d'Lëtzebuerger Land vom 02.09.2010

Juste un an après leur dernier album Flowers from exile, les Luxembourgeois en exil de Rome reviennent à la charge avec Nos chants perdus. Ce nouvel album perpétue la mue opérée avec ce Flowers from exile qui semble avoir été une charnière à bien des égards. Tout d’abord le changement de label, car, depuis cet opus, c’est la structure allemande Trisol, spécialisée dans la musique dite gothique et industrielle, qui héberge Rome. Ensuite le côté martial de leur musique, taxée aussi par certains de military pop ou d’apocalyptic folk (autant de sous-genres des nébuleuses industrielles et gothiques), a été mis en veilleuse, laissant place à plus d’enluminures.

Ce cinquième album est proposé dans un sobre écrin en lin noir, avec comme uniques décorations le nom du groupe et le titre de l’album, tous deux en majuscules. Choix loin d’être innocent, car le noir semble primordial pour le maître à penser de Rome, Jérôme Reuter. En effet, il célèbre des grands hommes qui ont prôné certaines des valeurs associées au drapeau de la même couleur (l’esprit de résistance et la soif de liberté, pour n’en citer que quelques-unes), comme le soulignent les citations de Camus, Proust voire d’Apollinaire, qui ne manquent pas de sauter aux yeux en parcourant le livret classieux. Ces citations comme les titres des morceaux sont en français (ainsi que les spoken words et autres samples vocaux), alors que les textes sont en anglais. Cette démarche accentue aussi le côté sentencieux du disque, friand de ces affects théâtraux.

Regroupés en cinq actes comme autant de recueils thématiques, les morceaux développent les thèmes de prédilection de Jérôme Reuter, traités de manière assez universelle. Mais il ne dédaigne pas rajouter, au détour d’une strophe ou l’autre, des éléments plus ancrés dans l’actualité (la séparation de l’église et de l’État, l’indifférence de la société, le « rapatriement » des sans-papiers, …), fustigeant au passage des petites (et grandes) hypocrisies ou trahisons propres au genre humain. Toutefois, on constate la noirceur à tout va n’a plus le monopole de l’écriture, car celle-ci se teinte aussi d’espoir et de compassion. Ces textes sont portés par la voix toujours aussi caverneuse du sieur Reuter (qui se situe entre Nick Cave et Bernard Lavilliers, sans le marcel, toutefois…), toujours aussi porté sur une interprétation empreinte de romantisme sombre et ombrageux, mais d’une dignité à toute épreuve. Choix judicieux, car une approche plus torturée aurait vite fait grotesque !

La musique se met au diapason, optant pour un certain dépouillement et la mise au placard des chapes de plomb soniques. L’épure opérée met ainsi en lumière des arrangements plus aérés (toujours de la patte de Patrick Damiani, alter ego musical et producteur), faisant jaillir des sillons mélodiques bienvenus que l’on peut entendre sur L’assassin, le vertige du vide ou encore le très beau la Commune. Mais aussi, des compositions qui se dévoilent sans fards, si ce n’est une envahissante réverbération très typée goth. En fait, seules cette dernière et la guitare acoustique restent omniprésentes et rappellent le mode opératoire d’avant le Flowers from exile. Pourtant, l’instrumentation ici présente est plus riche et variée, on retrouve même un accordéon qui domine le débat sur La rose et la hache, apportant une touche Vieille France. Signalons aussi la contrebasse et les cordes qui boisent magnifiquement les déracinés. Glo­bale­ment, les morceaux s’avèrent plus que convaincants, malgré une baisse de régime dans le dernier quart de l’album.

Rome continue son petit bonhomme de chemin, vérifiant, au vu du peu d’intérêt local, l’adage que nul n’est prophète dans son pays. Cependant, avec le suivi qui leur est porté dans d’autres contrées et dans certains cercles d’initiés, ils doivent s’en ­moquer comme de leur première Hameschmier.

Pour plus d’informations : www.trisol.de,www.myspace.com/romecmi.
David André
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