Maux dits d’yvan

Le CSV s’affiche

d'Lëtzebuerger Land du 25.08.2023

Le stylo qui a servi à signer le contrat est à peine rangé, que le CSV viole déjà les règles de bonne conduite que l’accord était censé définir en vue des prochaines élections. En cause : un post sur Facebook qui rappelle les guerres froide et culturelles d’une époque qu’on espérait révolue. Les chrétiens-sociaux, moins sociaux et plus chrétiens que jamais, y mettent en scène une famille bien de chez nous, blanche et blonde, comme notre société « woke » n’ose plus en afficher. On devine les parents mariés plutôt que pacsés, devant « eiser Här » de préférence. Chez ces gens-là, Monsieur, on proteste contre l’union libre et manifeste pour l’union ivre de dieu et de bonheur. Le frère, la sœur et le parent 2, pardon, la mère, accueillent le parent 1, pardon le père, qu’on devine tout juste rentré de son boulot de jeune fonctionnaire dynamique. Les bambins resplendissent de santé, tout élevés sous la mère qu’ils sont, loin des maisons relais et autres crèches inventées par les fossoyeurs laïques de la cellule familiale. On sent ce foyer, ce véritable « heim », peu concerné par la crise du logement, le renchérissement de la vie, la crise du climat, les discussions grammaticales autour du genre. Ces nourritures terrestres sont bénies par les fournitures du ciel et détournent ainsi le fameux cri de Gide : « Famille, je vous aime ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur ».

Mais déjà, le malheur guette ! À y regarder de près, le clinicien avisé remarque que dans ce quarteron de Luxembourgeois on se serre fortement l’un contre l’autre, comme si on faisait rempart contre une perfide menace, un danger sournois que le post se fait fort de dénoncer : L’anéantissement du clan blanc viendra des socialistes, qui, nous dit l’affiche, vont introduire « d’Ierfschaftssteier », et, pour faire bonne mesure, « a manner wéi engem Joer ». « Merde alors ! » s’écrie le méchant Asselborn, couteau entre les dents, quand le roi Ubu lui répond : « Houre Schräiss ».

Toute blague à part, ce post est dangereux. Parce que, tout d’abord, il suggère que le grand remplacement, cher à Eric Zemmour, est en marche : la famille blanche et chrétienne est menacée par la gauche qui taxerait les « possessions jalouses », dénoncées jadis par André Gide. Elle sera remplacée par des patch-work families, de toutes les couleurs, de toutes les religions voire d’athéismes, accueillies par le cheval de Troie d’un impôt qui priverait les rejetons du capital de leurs parents. L’identité même de la famille volerait ainsi en éclats. Pauvres familles, dont l’identité se résume au compte en banque ! L’iconique couteau entre les dents du communiste du siècle dernier se métamorphose aujourd’hui en impôt sur l’héritage. Et, pour rester dans le vocabulaire du siècle dernier, le CSV semble bien prendre l’élection pour un piège à cons. A-t-il si peu de considération pour ses électeurs qu’il pense pouvoir les berner par des publicités mensongères et des fake-news, chères à Donald Trump dont il n’a pas peur de copier les méthodes et, qui sait, bientôt les « idées » ? Car, enfin, l’impôt sur l’héritage existe depuis belle lurette et, à ma connaissance, les pontes du CSV ne l’ont jamais remis en cause. Ce à quoi certains socialistes, la plupart des partis de gauche et jusqu’à Frank Engel, l’ancien cacique des chrétiens-sociaux, ont commencé à réfléchir à haute voix, c’est l’imposition à transmission directe, celle donc qui concerne les seuls enfants d’un couple. Et tant pis, pour la cohésion sociale et le « vivre-ensemble », mot qu’une tribune au Wort, a récemment tenté de faire passer pour un gros mot. Il est vrai que le réservoir électoral du CSV se réduit désormais aux eaux saumâtres du marigot situé (très) à sa droite. Et pour le courtiser, le parti du C se doit bien d’être un peu de mauvaise foi.

Yvan
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