Expositions

Sauver comment ?

d'Lëtzebuerger Land du 15.05.2020

Il y eut des héros ordinaires, dans la France libre entre1940-1942 et puis entièrement occupée jusqu’en 1944. Beaucoup ont aujourd’hui leur nom sur le Mur des Justes, au Mémorial de la Shoah à Paris. Il y avait aussi des lieux de passage, d’un pays à l’autre. Aux noms des « héros ordinaires » s’ajoutent donc ceux de personnalités qui occupaient des postes officiels stratégiques. Parmi eux, le consul du Portugal à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes.

D’aucuns auront vu les deux expositions, en 2019 et cette année à l’Abbaye de Neumünster : Aristides de Sousa Mendes, produite par les Archives nationales, et Portugal et Luxembourg – pays d’espoir en temps de détresse, organisée par les associations MemoShoah et Vilar Formoso–Fronteira da Paz, et qui a rouvert ses portes cette semaine au Neimënster. Réunies désormais en une seule eposition virtuelle, on peut la visiter sur le site en ligne du Musée de la Résistance. En attendant que celui-ci, en rénovation ne rouvre ses portes et alors qu’il y a une semaine, on célébrait le 75e anniversaire de la Deuxième Guerre mondiale.

Cela concerne notre histoire locale et quelques-uns de ses membres éminents, qui séjournèrent au Portugal, avant de pouvoir franchir l’Atlantique : la famille grand-ducale. Pour mémoire à l’intention des plus jeunes : la Grande-Duchesse Charlotte envoyait depuis l’exil nord-américain du gouvernement luxembourgeois, des messages d’espoir à la population et son fils, le futur Grand-Duc Jean, participa avec les soldats US à la libération du pays.

La jeune génération encore, car cette exposition est à forte visée pédagogique, apprendra que dès l’occupation du Grand-Duché le 10 mai 1940, le pays fut considéré par le pouvoir nazi comme rattaché au Reich. Ainsi voit-on des bannières à croix gammée flottant non seulement sur des magasins juifs mais aussi sur le palais grand-ducal.

Partis à l’aube du 10 mai 1940, de nombreux juifs luxembourgeois trouvèrent un refuge dans la partie restée non-occupée de la France, dite « la zone libre ». Mais ce n’était pas sans danger, comme en témoige dans l’exposition, la reproduction de quelques fausses cartes d’identité. Des enfants étaient certes scolarisés, mais sous un faux nom eux aussi.

Il est, pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du Grand-Duché durant ces années sombres, particulièrement intéressant par ailleurs de pouvoir voir les photos et de lire les noms de ceux qui furent arrêtés au Luxembourg et envoyés en déportation : entre 1941 et 1943, 658 juifs le furent du Luxembourg dont seuls 44 survécurent.

Certes, le rabbin Robert Serebrenik, depuis le Luxembourg et Albert Nussbaum à Lisbonne, créèrent un réseau (soutenu par un fonds de solidarité américain) qui aida des Juifs restés au Luxembourg à partir, procurant des visas et organisant des transports vers le Portugal et ce jusqu’en 1941. Mais c’est depuis Bordeaux qu’Aristides de Sousa Mendes, consul du Portugal, signa, entre mai et juin 1940, des visas de transit pour le Portugal à tour de bras, aidé de sa famille et de quelques personnes habiles à imiter sa signature. Il sauva ainsi 30 000 personnes, et cela contre la politique de son gouvernement, qui était resté neutre dans le conflit sous le régime autoritaire du général Salazar en place depuis 1932.

Aujourd’hui, à Bordeaux, l’immeuble où il avait ses bureaux, Quai des Chartons, porte une plaque qui honore son action. Mais à l’époque, fin juin 1940, le gouvernement de Salazar rappela le consul, le condamna pour faux en écriture et le mit en retraite forcée. Il mourut, dans la misère en 1954, à 69 ans. La Révolution des Œillets mit fin à la dictature au Portugal en 1974 et Aristides de Sousa Mendes fut réhabilité dans son pays en 1988.

En ces temps de pandémie, il n’est pas inutile de visiter en ligne la double exposition Aristides de Sousa Mendes et Portugal et Luxembourg – pays d’espoir en temps de détresse dans la perspective de ces temps de pandémie : le Grand-Duché est pris au dépourvu par la fermeture ou les contrôles aux frontières de la Grande Région, un Victor Orban en profite en Hongrie pour s’arroger les pleins pouvoirs, l’Union Européenne est à la peine face aux décisions nationales. Et que deviennent les victimes civiles des conflits du Moyen-Orient et d’Afrique ? Quel est le sort des réfugiés, dans les camps de transit, dans le Sud et aux portes de l’Europe ? Si le Luxembourg vient d’en accueillir quelques-uns, qu’en est-il de leur sort en vgénéral et sanitaire, frappés par le covid-19 comme nous tous. ?

L’exposition Aristides de Sousa Mendes, initialement réalisée par et aux Archives nationales du Luxembourg, est encore à voir en ligne sur le site du Musée National de la Résistance : musee-resistance.lu. La deuxième exposition, Portugal et Luxembourg – pays d’espoir en temps de détresse, réalisée par MemoShoah asbl en collaboration avec Vilar Formoso – Fronteira da Paz, en collaboration avec Neimënster, y est à nouveau accessible depuis cette semaine ; neimenster.lu.

Marianne Brausch
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