Signature par la Suisse de la convention fiscale de l’OCDE

Rien de décisif

d'Lëtzebuerger Land vom 25.10.2013

« Une simple formalité ». C’est en ces termes surprenants que les autorités suisses ont qualifié leur signature, le 15 octobre, de la convention multilatérale d’assistance mutuelle en matière fiscale de l’OCDE. Pourtant, selon Pascal Saint-Amans, directeur de la fiscalité de cette organisation, la décision marque « la fin du secret bancaire suisse », c’est-à-dire du principal pilier de la place financière helvétique, inscrit dans la loi depuis bientôt 80 ans.

Il est curieux qu’à part Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, qui a parlé de « signal clair et fort montrant que la Suisse fait partie de la communauté des États pour qui la coopération fiscale internationale est une nécessité », ni les gouvernements des pays du G20 (dont l’OCDE est la mandataire) ni la presse n’aient « célébré » à sa juste mesure un pareil évènement, passé finalement un peu inaperçu.

Et pour cause. Beaucoup n’y voient en effet qu’un trompe-l’œil. La convention de l’OCDE, dont la Suisse est le 58e pays signataire, remonte à 1988. Elle organise une coopération fiscale poussée, impliquant pour un État adhérent un engagement de coopérer sans réserve en cas de demande d’entraide de la part d’un autre État qui cherche à connaître les avoirs non déclarés de ses ressortissants.

Cette signature assez inattendue est une victoire pour l’OCDE, qui pavoise. L’adhésion de la Suisse, après celle du Luxembourg ou de Singapour, est supposée avoir un effet d’entraînement sur d’autres centres offshore. Évoquant le nombre grandissant de pays ayant signé le texte ou s’apprêtant à le faire, comme par exemple dix territoires d’outre-mer sous influence britannique, Saint-Amans estime qu’il s’agit d’un « mouvement inéluctable » et que les États qui s’y soustraient « allaient commencer à se marginaliser ». Il y a là l’aboutissement de plus d’une décennie d’intenses pressions sur la Confédération.

Contrairement à une opinion répandue, elles ne datent pas de la crise financière. Déjà en octobre 2002, lors d’un forum tenu à Luxembourg, Jean-Claude Juncker avait qualifié la Suisse d’« Irak des Alpes » pour dénoncer la manière dont la Confédération était traitée par les États-Unis.

Mais les pressions se sont alourdies depuis 2008, le G20 ayant fait de la lutte contre les paradis fiscaux une de ses priorités, ces derniers étant tenus responsables de l’aggravation de la crise. La réalité est aussi que, les finances publiques (notamment des pays occidentaux) étant dans un état avancé de délabrement, il est de plus en plus difficile pour eux de tolérer un manque à gagner qui, selon l’ONG Tax Justice Network, serait d’environ 200 milliards d’euros par an.

Dès 2009, la Suisse avait ouvert une brèche dans son secret bancaire en acceptant de fournir certains renseignements bancaires, sous des conditions très restrictives, à des administrations fiscales étrangères. A cette occasion, la Confédération avait abandonné une disposition de son droit interne distinguant la fraude (punissable) de l’évasion fiscale (tolérable).

Depuis, elle avait refusé d’aller plus loin, opposant notamment une fin de non-recevoir à l’Union Européenne qui la presse d’échanger automatiquement des informations bancaires avec ses membres, alors qu’elle n’a signé jusqu’à présent que des accords bilatéraux de taxation des avoirs qui préservent l’anonymat des déposants, tel Rubik avec l’Allemagne.

Une position difficile à tenir car, dans le même temps, les États-Unis parvenaient à imposer à la Suisse (qui l’appliquera courant 2014) leur loi Fatca, qui oblige, sous peine de représailles, les banques étrangères à communiquer systématiquement les informations détenues sur leurs clients citoyens américains.

Cela dit, depuis plusieurs années, les Suisses ont pris d’eux-mêmes des initiatives pour lutter contre l’argent sale, pour améliorer leur image et échapper aux incessantes et humiliantes pressions du reste du monde. Eveline Widmer-Schlumpf, la ministre des Finances, également présidente de la Confédération en 2012, a estimé qu’il était meilleur pour la Suisse de « participer aux nouvelles règles que de les subir ».

Les grandes banques y sont depuis longtemps favorables. Elles savent le secret bancaire condamné et ne veulent plus être montrées du doigt ni poursuivies à l’étranger. Elles veulent mettre en avant leur savoir-faire et leurs compétences. Selon plusieurs experts, la place financière suisse dispose d’un niveau d’expertise qui lui permet de se passer du secret bancaire. Ils estiment que les fonds régularisés resteront probablement en Suisse, parce qu’ils y sont bien gérés.

Mais, jusqu’ici, le gouvernement devait tenir comptedes réticences, voire des résistances, du côté des petites banques, des boutiques de gestion de fortune, des avocats d’affaires et d’une partie de l’opinion. Ce verrou a sauté. C’est dans cet esprit qu’est intervenue la signature de la convention OCDE, qui doit permettre selon Stefan Flückiger, représentant permanent de la Suisse auprès de l’organisation, de « préserver l’intégrité et la réputation de la place financière et du pays ».

S’agirait-il d’une opération purement tactique ? La convention doit en effet, comme dans tous les pays signataires, être ratifiée par le Parlement, ce qui s’annonce d’autant plus ardu qu’il faudra parallèlement modifier la loi de 1934 qui punissait d’amendes et de peines de prison la violation du secret bancaire. Les ONG spécialisées dans la lutte contre la fraude fiscale, comme Oxfam, ne sont pas dupes, reconnaissant que « les paradis fiscaux qui signent cette convention ne sont généralement pas enclins à la ratifier rapidement ». D’ailleurs cela n’a été fait que dans la moitié seulement des Etats signataires.

Surtout, à y regarder de plus près, le texte n’est pas très engageant pour la Suisse. L’OCDE a d’ailleurs indiqué que « la Suisse adhère à un instrument qui lui permettra, en temps voulu, de rejoindre les juridictions qui décideront d’échanger automatiquement des informations financières ». La convention ne fait donc que « préparer le passage » à l’échange automatique de données, alors que ce moyen est considéré comme le plus efficace parmi ceux permettant d’éradiquer la fraude.

Mais ce n’est pour l’instant qu’une option possible, à côté d’autres formes d’assistance mutuelle : échanges sur demande ou spontanés, contrôles fiscaux à l’étranger ou conjoints et aide au recouvrement de l’impôt.

De plus, si cette option était activée, elle nécessiterait la conclusion d’un nouvel accord entre les parties intéressées. Pour l’instant, la Suisse n’a signé (sous la contrainte) qu’un seul accord de ce genre, avec les États-Unis, et a annoncé qu’elle n’en conclurait d’autres que si l’échange automatique devenait un standard international de coopération fiscale.

C’est bien ce que le récent G20 à St Petersbourg a prévu d’imposer mais sans doute pas avant 2015, ce qui laisse un délai supplémentaire à la Suisse pour s’organiser et aux clients pour régulariser ou pour partir sous des cieux supposés plus cléments (on l’a vu avec l’affaire Cahuzac en France).

D’autres éléments montrent que la Suisse campe toujours sur ses principes. Ainsi le Conseil Fédéral a maintenu son refus de coopérer avec les autorités étrangères qui présentent des CD de données bancaires volées pour obtenir l’assistance administrative fiscale, une pratique qui a tendance à se répandre.

Mais elle sait aussi opportunément lâcher du lest. Exemple : le gouvernement suisse a accepté de modifier sa législation sur un point-clé. Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, où les clients étrangers de banques suisses, faisant l’objet d’une enquête pour fraude ou évasion fiscale dans leurs pays, sont toujours informés avant que leurs données ne soient transmises, ils ne seront désormais avisés qu’a posteriori si l’État requérant motive dûment sa demande.

On peut également observer que la signature de la convention OCDE est intervenue quelques heures avant une rencontre entre Widmer-Schlumpf et le commissaire européen au Marché intérieur, Michel Barnier. Au menu : l’accès des banques helvétiques, surtout des établissements de petite et moyenne taille, au marché européen des services financiers. La future directive Mifid II leur complique la vie. D’où l’opinion largement partagée selon laquelle la Suisse, qui n’a jusqu’ici jamais obtenu de compensations à sa « mise en règle », conditionne aujourd’hui l’adoption rapide de l’échange automatique d’informations à l’octroi pour ses banques de la libre prestation de services financiers dans l’UE, qui est devenue un de leurs « terrains de jeu » préférés.

Georges Canto
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