« Un projet né sous une mauvaise étoile, construit avec mauvaise conscience et politiquement porté avec mauvaise foi. » Dans son livre au titre volontiers égocentré, Wim Delvoye et moi (éditions Phi), Enrico Lunghi, revient sur la genèse tourmentée du Mudam, dont il était le directeur de 2009 à 2016. La mauvaise foi réside dans l’hypocrisie du nom du « Musée d’art moderne Grand-Duc Jean » alors qu’il s’agit d’un lieu dédié à l’art contemporain. Cette contradiction a nourri les tensions entre la première directrice Marie-Claude Beaud et le conseil d’administration. En lui succédant, Enrico Lunghi a suivi la même voie indépendante, refusant notamment la privatisation des espaces du musée ou les pressions visant à imposer certains artistes. En retour, le CA ne l’a guère soutenu lors de l’affaire médiatique qui l’opposa à RTL.
En 2018, l’arrivée de Suzanne Cotter auréolée d’un prestige international a, un temps, calmé les esprits. Mais en janvier 2019, une lettre anonyme relayée par la presse a ravivé les critiques : épuisement du personnel, manque de reconnaissance. Déjà, on parlait de dysfonctionnements dans la gestion du musée. Déjà, la communication était verrouillée. Déjà, le sujet était discuté à la Chambre des députés. Déjà, le ministère de la Culture était sommé de s’expliquer. Le départ de Suzanne Cotter vers l’Australie après la pandémie et le recrutement de Bettina Steinbrügge en avril 2022 ont redonné au musée une relative stabilité.
Pourtant, en janvier dernier, la démission de Patrick Majerus, président du conseil d’administration, a mis en lumière les fractures et tensions internes jusque là gardées en sourdine et qui alimentent aujourd’hui des débats politiques.
Après la passe d’armes entre Djuna Bernard (Déi Gréng) et le ministre de la Culture Eric Thill (DP), la lettre la lettre de démission Patrick Majerus a finalement été transmise, ainsi que des conclusions de l’enquête du cabinet de conseil Qualia. Le ministère de la Culture a informé le Land mercredi que la commission d’accès aux documents a refusé la publicité de l’ensemble du rapport « qui comprend trop de données personnelles ».
Les conclusions de Qualia, que le Land a pu consulter, tiennent en quelques pages. Présentées au conseil d’administration, à l’équipe de direction et à la délégation du personnel fin décembre et début janvier, elles exposent clairement les objectifs de la mission : « Le conseil d’administration souhaite comprendre ce qui se passe au niveau de l’équipe de direction afin d’aider cette équipe et la directrice à retrouver de l’apaisement. »
Après avoir discuté avec un large éventail de responsables de divers départements au sein du Mudam, Qualia constate des antagonismes structurels, stratégiques et relationnels. Le rapport cite des points de vue divergents sur les choix artistiques. Il pointe des affinités personnelles qui entraînent des « loyautés implicites » et créent des « polarisations, renforcées par un manque de zones de dialogues ». Des arrivées et des départs de collaborateurs ainsi que des règles en constantes évolution ont mené à « une pression accrue sur le personnel, des régressions dans l’organisation et donc des conflits ». À cela s’ajoutent des problèmes hiérarchiques et des contournements (« by-pass ») des circuits décisionnels.
Pour remédier à ces problèmes profonds, Qualia estime que le musée a besoin « d’une autorité saine et puissante qui permette à tous de reconstruire un modus operandi sur de bonnes bases ». Le rapport appelle à une réorganisation « de toute urgence » de la gouvernance interne « de façon fondamentale ». La clarification des rôles et des responsabilités de chacun que ce soit « l’instance de tutelle » (donc le ministère de la Culture), le conseil d’administration, la direction générale ou les directions de département doit être une première étape.
Pour que les changements soient pérennes, l’auditeur recommande la mise en place d’« instances de dialogue opérantes ». Il préconise aussi un accompagnement individuel et dans la durée. Une fois les fonctions redéfinies, le cabinet suggère de vérifier leur adéquation avec les profils en place. « Ce qui s’est passé continuera à se passer si des changements structurels ne sont pas réalisés », conclut le rapport.
La mise en œuvre des recommandations dépend maintenant du CA et de son nouveau président Jean-Paul Olinger en poste depuis un mois. « Le conseil d’administration est conscient de sa responsabilité et prendra les mesures nécessaires. Il s’est réuni à plusieurs reprises et des groupes de travail ont été institués pour discuter des pistes d’amélioration », fait-il savoir au Land. Les thèmes identifiés sont : mission et définition du musée, gouvernance, bien-être de l’équipe, résilience financière, développement des publics. « Ces réunions visent à renforcer la communication interne entre les départements, la direction et le conseil d’administration, afin de jeter les bases de la prochaine phase de transformation et développement », détaille le président du CA. Prochain rendez-vous le 19 mai pour parler gouvernance.