Stéphane Pallage, le nouveau recteur de l’Université du Luxembourg, aime à se définir autant en humaniste qu’en économiste. Il arrive à un point crucial pour le développement de la jeune institution. Portrait

Il faut croire Sisyphe heureux

d'Lëtzebuerger Land vom 19.01.2018

Quatre hommes d’âge (très) mûr auront présidé à la destinée de la toujours jeune Université du Luxembourg depuis sa création en 2003 : François Tavenas en 2003/4 (il est mort inopinément), Rolf Tarrach de 2004 à 2014 (il a pris sa retraite après deux mandats), puis Rainer Klump de 2015 à 2017 (il a démissionné à la suite de problèmes administratifs et financiers de l’institution) et, depuis le 1er janvier dernier, Stéphane Pallage. Qui est, de loin, le plus jeune – il a 49 ans –, mais partage avec l’un ou l’autre de ses prédécesseurs des points communs. Comme Tavenas, il vient d’un parcours universitaire au Québec, tout en étant Européen d’origine (Tavenas était Français, Pallage est Belge). Comme Klump, il a une formation d’économiste (licence en administration des affaires à Liège, doctorat en économie à Carnegie Mellon à Pittsburg, USA) et un cursus de gestionnaire dans une grande université internationalement reconnue (Klump venait de la Goethe-Universität de Francfort où il fut vice-recteur, Pallage de l’École des sciences de gestion, ESG, de l’Uqam à Montréal, dont il était le doyen depuis 2013). Et avec Rolf Tarrach, le physicien, il a en commun un caractère avenant, un penchant pour l’entrisme et ce grand sourire affiché en public qui pourrait cacher la même poigne que l’avait Tarrach, qui régna en roi soleil sur l’Uni.lu.

Un exemple : avant même la présentation à la presse lundi après-midi, en présence du ministre délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, Marc Hansen (DP), Stéphane Pallage avait tenu à saluer personnellement les étudiants de l’Université du Luxembourg qui arrivaient à Belval pour leurs examens semestriels – moment convivial dûment documenté sur son compte Twitter –, puis tenu un discours pour la réception de nouvel an devant 800 collaborateurs de l’Université, discours que beaucoup décrivent d’enthousiaste et de fédérateur (la métaphore de l’Uni.lu comme « bijou », il la fila toute la journée durant et la presse quotidienne la reprit en une). Au ministère, il se prêta, souriant, au jeu des photos posées pour la ribambelle de journalistes-images qui avaient accouru, avant de répondre, toujours aussi souriant, aux questions sur la dernière année difficile de l’Uni.lu – la page est tournée, il y a désormais un nouveau recteur, le budget pour 2018 est en équilibre et la dotation de l’État augmente –, ou sur la réforme de la loi, en gestation – j’ai bien sûr lu les deux et je peux vivre avec l’ancienne loi comme avec la nouvelle, dans laquelle les rôles de chaque organe sont mieux définis. Ne pas donner prise à la première apparition publique – Pallage est rusé. Tiré à quatre épingles, calvitie soignée, trois bagues aux doigts, dont une, seul signe distinctif, au pouce gauche –, pins Uni.lu au revers de la veste bleue…il est difficile à situer. Pallage a un léger accent, qu’on pourrait attribuer soit à sa Wallonie natale, soit au Québec, où il a vécu depuis 1995 – c’est peut-être un mélange des deux.

Background check Les historiens de l’Université du Luxembourg avaient vite fait leur recherche sur ce nouveau futur recteur, dès les premières rumeurs, confirmées par la Radio 100,7 début octobre – encore un économiste, dont ils craignaient probablement qu’il allait continuer le travail de démontage de leur laboratoire. Alors ils trouvèrent son étude, écrite au début des années zéro, avec son confrère Sylvain Dessy, dans laquelle les auteurs mettaient en garde devant les conséquences négatives de l’abolition des pires formes du travail des enfants, qui rapporte selon eux l’essentiel du budget de beaucoup de ménages dans les pays pauvres, ce qui fit titrer le Telegraph britannique : « It’s official : child labour is a good thing ».

UItralibéral, Pallage ? Il s’en défend au micro de RTL Télé Lëtzebuerg lundi soir, soulignant qu’il est aussi poète, donc en fait « plus un humaniste qu’un économiste ». Toutefois, on ne trouve que des traces très précoces de son activité de poète, un « prix interrégional jeunes auteurs » en Belgique, qu’il remporta dans la section poésie en 1989, mais pas de recueils ou d’autres références d’œuvres publiées. Par contre, la liste des publications scientifiques de Stéphane Pallage, listées sur son CV, est longue comme un bras. Y est aussi listée cette autre étude cosignée avec Nicolas Lemay-Hébert, sur l’aide humanitaire en Haïti, dont les auteurs craignent certains « effets pervers », et qui, si elle est mal organisée, peut, selon eux, « accentuer la corruption et contribuer à affaiblir les institutions » ou « perturber le système de prix et nuire aux producteurs locaux ».

Tentons donc d’en savoir plus sur sa renommée au Québec. « Stéphane Pallage fut un doyen très consensuel au sein de la communauté de l’ESG Uqam. Nous avons toujours eu une très grande facilité à communiquer et à collaborer sur différents dossiers touchant les étudiants, affirme par exemple Mathieu Oligny de l’association des étudiants de l’ESG, à la question du Land. Monsieur Pallage a fait un excellent travail de positionnement de notre École. Il fut très actif, notamment sur le dossier de l’autonomie de notre École au sein de l’Université du Québec à Montréal. » Il y eut notamment cette lutte épique pour plus d’autonomie, notamment financière de l’ESG, 300 professeurs et 15 000 étudiants, par rapport à la maison-mère, l’Uqam (Université du Québec à Montréal), gigantesque paquebot de six facultés et une école (l’ESG), quarante départements, cinq campus. Face au déficit chronique de l’Uqam, Pallage remporta un énorme bras de fer en menaçant, en automne 2016, de tenir un référendum interne à l’ESG pour sa séparation pure et simple de l’Uqam. Il a obtenu gain de cause et retiré le projet de consultation. On peut en conclure qu’il a une capacité de lutter pour les institutions qu’il préside, une certaine résilience en situation de crise aussi.

Restaurer le calme, essentiel pour l’Université du Luxembourg et surtout les étudiants qui y travaillent, est une des premières missions de Stéphane Pallage. Marc Hansen ne laissait pas de doute à cela en l’introduisant lundi ; il avait l’air grave en parlant et en écoutant le nouveau recteur, encore inconnu montée de la Pétrusse. Ce calme, Marc Hansen le voudrait aussi pour soi et ses dossiers, qui risquaient de s’embourber jusqu’aux élections législatives d’octobre : l’interminable mélodrame du Fonds de logement, les problèmes humains et financiers à l’Uni.lu, la refonte de la loi accompagnée de contestations internes et externes, notamment quant au manque de participation démocratique dans les nouvelles structures. Le mot magique « d’autonomie » que Marc Hansen avança comme un drapeau blanc doit donc être la solution : le gouvernement, assura-t-il, n’a même pas du tout été impliqué dans la recherche du nouveau recteur, pas même via un représentant dans le comité de recrutement composé exclusivement d’universitaires reconnus, plus un représentant des étudiants et un autre des enseignants. Il y eut 80 candidatures suite à l’annonce publiée au printemps dernier, dont trente furent acceptables ; sur une shortlist de dix personnes, le cabinet spécialisé Russell Reynolds Associates mena les premières interviews pour vérifier leurs ambitions (aussi financières) et leurs compétences. Stéphane Pallage fut parmi les trois derniers. Les candidats luxembourgeois, internes à l’Université du Luxembourg, nombreux, furent exclus d’office parce qu’on voulait un international, quelqu’un dont l’autorité s’impose par une certaine distance autant que par la compétence. Ce qui fait dire à un observateur qu’il serait temps de faire confiance aux professeurs formés en interne, « on ne va pas chercher le Premier ministre à l’étranger non-plus. »

Gros sous Stéphane Pallage ne tarit pas d’éloges pour l’Université du Luxembourg et son potentiel de développement – il veut la sortir de sa phase de start-up pour en faire « une organisation de classe mondiale » –, trouva « fabuleux » le fait qu’un gouvernement « visionnaire » investisse autant dans son université – 765 millions d’euros sur quatre ans, soit une augmentation de trente pour cent par rapport à son dernier contrat d’établissement – et se dit « heureux » d’être au grand-duché, alors même qu’il fut aussi heureux à Montréal. Au moins, il remplit à la perfection le critère de « l’optimisme contagieux » énoncé dans la description du poste de recteur. Belval en a bien besoin.

josée hansen
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