Martine Hansen se gardait de toute euphorie, mardi, l’air pas franchement convaincu que la loi qui alloue d’importantes subventions aux agriculteurs souhaitant construire de serres en verre de plus d’un hectare trouvera son public. Le texte libère vingt millions d’euros pour en financer, à hauteur de quarante pour cent du montant total (55% pour les jeunes agriculteurs), dans une fourchette allant de un à douze millions par projet. « Nous voulons inciter à la construction de serres dont la taille dépasse le plafond prévu dans la loi agraire, mais cela ne concerne pas beaucoup d’agriculteurs, ce serait déjà bien si un projet voit le jour », déclarait-elle.
Pourtant, la demande existe. Georges Eichen, associé-gérant de La Provençale et principal distributeur des fruits et légumes produits dans le pays, se montre par exemple très intéressé. « La production n’est pas notre vocation, mais nous allons probablement faire une exception », avance-t-il.
Il fait remarquer que, si aucune loi n’a jamais interdit la construction de telles serres, aucune autorisation n’a jamais été accordée non plus, « alors qu’il y a eu des demandes ». Il regrette que le ministère de l’Environnement les ait toutes bloquées et espère que les lignes ont bougé. Jean-Claude Muller, le président du Lëtzebuerger Landesuebstbauveräin, abonde : « On nous demande depuis 2010 de produire davantage de fruits et légumes au nom de la souveraineté alimentaire, mais jusque-là, on ne nous en a jamais donné les moyens ». « Jamais la situation n’a été aussi favorable, si ça ne se fait pas maintenant, ça ne se fera jamais », pronostique Georges Eischen.
Pour lui, les grandes serres sont indispensables à la production de fruits et légumes, soumis aux caprices du temps lorsqu’ils poussent en pleine terre, à ciel ouvert. « Grêle, orage, intempéries, sécheresse… les intempéries sont souvent responsables des échecs économiques des entrepreneurs qui se lancent dans cette activité. On n’a pas le choix : pour développer ce type de cultures, il faut des grandes serres. »
Mais l’homme d’affaires garde la tête froide. Si le niveau d’autosuffisance est particulièrement faible au Luxembourg (neuf pour cent pour les légumes et trois pour cent pour les fruits en 2024, selon le ministère de l’Agriculture), le marché n’est pas extensible à l’infini. « De notre expérience, on peut espérer placer entre cinq et 25 pour cent de produits luxembourgeois, pas davantage. Tous les clients ne sont pas prêts à payer plus cher pour manger local. Beaucoup de producteurs le sous-estiment. »
Que pour le marché intérieur
Georges Eischen avertit que « le pays étant petit, on n’aura pas besoin de plus de trois hectares de serres de tomates pour satisfaire la demande locale. » Et puisque les coûts de production sont plus élevés ici qu’ailleurs, il ne faudra pas espérer écouler une partie de sa production au-delà des frontières, « à moins que quelqu’un développe une expertise telle qu’il vendra ses produits grâce à sa réputation, mais ces gens-là sont rares… » Le risque de surproduction n’est donc pas à exclure. « Je conseille à tout ceux qui voudraient se lancer d’avoir d’abord leur marché pour vendre la production. Sinon, vu les valeurs d’investissement, ce serait du suicide », ajoute-t-il.
Pour La Provençale, investir dans des serres est un moyen un moyen d’assurer encore davantage sa place de leader sur le marché national. « Bien sûr, avoir un assortiment local que nos concurrents n’ont pas est un avantage. Mais je vous assure que ce n’est pas simple. C’est beaucoup plus facile de prendre son téléphone pour dire «Envoie-moi vingt palettes de laitue et vingt palettes de tomates » que de monter ce type de dossier. »
Georges Eichen souhaite développer son projet avec deux agriculteurs. L’investissement sera conséquent, le plus élevé jamais consenti en dehors des murs de La Provençale. « Le premier hectare est le plus cher, on va dire six millions d’euros avec toute l’installation. Pour le deuxième et le troisième, cela tourne autour de deux ou trois millions d’euros. » Tomates, poivrons, fraises, framboises… il n’est pas encore temps de définir précisément ce qui y poussera.
Reste que cette loi est critiquée, notamment parce que les critères environnementaux ne sont pas essentiels à l’attribution des subventions, qui privilégient le business plan. Or, une étude publiée par le Pesticides Action Network au printemps 2024 a démontré des niveaux de pesticides alarmants à proximité de serres en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Georges Eichen, comme Jean-Claude Muller, assurent pourtant que l’agriculture sous serre est vertueuse.
« Avec l’hydroponie, il n’y a pas besoin de chimie comme en pleine terre », affirme le maraîcher de Contern qui envisage de construire un hectare de serre en collaboration avec un voisin agriculteur pour, si l’expérience est positive, passer à deux, voire trois hectares plus tard. « En se servant d’auxiliaires (des insectes qui se nourrissent des parasites), il n’y a pas besoin d’insecticides, les fongicides et les herbicides sont inutiles et, pour le reste, selon lui, les produits bio suffisent. Quant à l’arrosage, l’eau de pluie apporterait 90 pour cent des besoins. Le chauffage est une problématique délicate qui définira la rentabilité de toute l’opération. Jean-Claude Muller imagine une source qui n’induise aucune dépendance, comme les copeaux de bois. Georges Eischen hésite entre le gaz gris et le biogaz, plus complexe à mettre en œuvre. « Mais si on peut réinjecter à bon prix le surplus dans le réseau, ce serait une possibilité », précise-t-il.
Quatre projets maximum ?
Puisque les acteurs intéressés font à ce stade preuve de bonne volonté, pourquoi la loi n’inclut-elle pas ces prérogatives environnementales qui ne semblent pas poser de problèmes au secteur ?
Cependant, d’autres aspects pourraient être débattus. Ces serres d’un ou plusieurs hectares participent ainsi à l’artificialisation des sols, ce qui peut poser des problèmes de ruissellement et prive la biodiversité de grandes surfaces. La question de la pollution lumineuse se pose également, surtout en hiver quand les serres seront éclairées soir et matin pour booster la croissance des plantes. Mais Georges Eischen indique que dans son projet, toutes les vitres pourront être occultées. Un autre facteur loin d’être accessoire est le logement des employés et des saisonniers, une question qui interpelle le patron de La Provençale : « Cela peut faire ou défaire la viabilité du projet. »
Les vingt millions d’euros de subventions prévus par la loi ne permettront la concrétisation que d’un nombre limité de projets. Et sans ce soutien, il est peu probable que d’autres soient lancés. Jean-Claude Muller et Georges Eichen pensent qu’il n’y en aura pas plus de quatre et le patron de La Provençale estime que le pays n’en a pas besoin de plus. p
La Fësch Haff veut être
la premièreManuel Arrillaga, CEO de la Fësch Haff (actuellement basée à Greiveldange), est le pionnier de l’aquaponie au Luxembourg. Cette solution croise la pisciculture et le maraichage, puisqu’à l’intérieur d’un circuit fermé, les déjections des poissons permettent d’apporter les nutriments aux plantes. « Le ministère de l’Agriculture a travaillé en étroite collaboration avec de nombreux agriculteurs, dont nous faisons partie, pour élaborer la proposition de loi. Nous sommes très heureux que nos besoins aient été entendus. Nous souhaitons maintenant construire une serre modulaire d’un hectare et nous aimerions beaucoup être les premiers du pays à le faire. »La Fësch Haff sera présente à la Luga, « nous sommes en train de monter une installation qui présentera nos systèmes aquaponiques, avec de vrais poissons ». EN