Culture et Éco-responsabilité (7)

To be Green or not to be

d'Lëtzebuerger Land du 01.09.2023

Au côté de Gilles Kieffer, responsable technique, Anne Legill a initié en 2020 un groupe de travail dédié à l’écoresponsabilité au sein des Théâtres de la Ville de Luxembourg. Il s’agit du premier groupe de travail à avoir émergé en plein contexte épidémique, une initiative transversale à l’ensemble des départements qui sera suivie d’autres commissions consacrées à l’inclusion, à la diversité ou au bien-être au travail. « Les défis auxquels nous sommes confrontés sont multiples ; et si nous n’arriverons pas à tout changer d’un coup, nous pouvons néanmoins apporter notre pierre à l’édifice. On a sensibilisé l’équipe à partir de petits gestes pour engager collectivement une transition écologique. Une réflexion en profondeur a été menée depuis, jusque dans le choix des matériaux : utilisation de couleurs et de colle à base d’eau, récupération de vieux éléments pour la fabrication de nouveaux décors, tandis que certains bois ne sont plus traités dans nos ateliers. Une véritable conscience a émergé en interne », se félicite celle qui occupe la fonction de responsable des relations publiques aux Théâtres de la Ville.

Dès 2013, l’établissement équipait la salle du Grand Théâtre d’ampoules LED, un dispositif technique aujourd’hui étendu à l’ensemble des bâtiments que compte l’établissement luxembourgeois. Le tri sélectif des déchets s’est également généralisé (y compris les déchets organiques), et des catering bio et en circuit-court sont proposés tout au long de l’année aux artistes accueillis. Les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur, Gilles Kieffer est formel : « La courbe des consommations d’eau, de chauffage et d’électricité, a diminué ces dernières années. » Soit d’importantes économies de CO2, mais aussi financières (évaluées à 65 000 euros environ) pour cette institution qui accueille entre quarante et cinquante spectacles par an. Tant mieux, puisque, comme toute institution publique, cela repose en partie sur les impôts du contribuable. C’est aussi en 2013 qu’une charte a été rédigée afin d’identifier les besoins, les moyens nécessaires, et pour s’accorder sur les objectifs à atteindre à moyen terme. Aujourd’hui, Gilles Kieffer suit de près les échanges menés au niveau national et représente les Théâtres de la Ville au sein du groupe de travail éco-responsabilité qui s’est formé à la Theater Federatioun (voir, sur ce dernier point, « La permaculture des arts » paru dans le Land le 21 juillet 2023).

Pour Tom Leick-Burns, directeur des Théâtres de la Ville, les acteurs culturels doivent se situer en première ligne de la transition écologique : « En tant qu’institution publique, on ne peut ignorer les questions environnementales qui se posent à nous aujourd’hui. Les professionnels des arts du spectacle doivent être pionniers et servir d’exemples dans le domaine, même s’il ne s’agit pas de nos missions primordiales. La culture a toujours été un phare lumineux pour plein de choses – le vivre-ensemble, la diversité ou la liberté d’expression avec de nombreux sujets représentés sur nos plateaux », rappelle-t-il. Lui-même contribue activement à cet effort collectif à l’échelon européen. Cet été encore, il a participé en Avignon à une table-ronde organisée par l’European Theatre Convention (ETC), réseau auquel sont affiliés les Théâtres de la Ville et dont l’enjeu consiste à rapprocher les artistes des décideurs politiques. Y ont participé Gabrielle Bernoville pour la Commission européenne, Jonathan Thonon du Théâtre de Liège, Paddy Dillon et Lisa Burger de Renew Culture, qui a notamment édité le Theater Green Book, un volume de référence qui rassemble toutes les mesures à destination des structures culturelles désireuses de se mettre au vert (cf. theatregreenbook.com). Autre source et modèle inspirant pour un renouvellement des pratiques professionnelles, Tom Leick-Burns mentionne le travail réalisé lors du Forum Européen du Théâtre qui s’est tenu en Pologne, dans la ville d’Opole, et qui a abouti à toute une série de recommandations qui ont été depuis reprises par l’Union européenne. Tom Leick-Burns pointe, en outre, les difficultés et les limites inhérentes au secteur culturel. Au sujet de la décélération, qui demande de produire moins mais dans de meilleures conditions matérielles et humaines, le directeur rappelle que le secteur s’est professionnalisé et que, par conséquent, de nombreux emplois dépendent désormais de son taux d’activité. Il met en avant les alternatives possibles grâce à l’inventivité des artistes, comme c’est le cas de Jérôme Bel au Théâtre Vidy-Lausanne, qui recrée à chaque fois le spectacle de toute pièces pour éviter à son équipe d’inutiles déplacements. De même, s’il est primordial de mutualiser les déplacements et les programmations pour des raisons écologiques, notamment dans le cas de tournées internationales, Tom Leick-Burns défend fermement la mobilité des artistes, condition sine qua non selon lui pour que la culture se transmette : « Il faut donc à la fois mieux partager les ressources, mais aussi mieux partager les œuvres », insiste-t-il. Au sujet du déplacement des publics, qui se révèle l’empreinte carbone la plus lourde à supporter pour une structure culturelle, le directeur tempère : car après deux années éprouvantes de Covid, il faut non seulement reconquérir le public en salles, mais aussi bien en élargir les bases pour en atteindre de nouveaux… On prend ainsi la mesure de l’entreprise, de ses paradoxes, de ses contradictions internes. Avant que Tom Leick-Burns formule le vœu de voir un jour le secteur culturel devenir lui-même pilote pour les autres secteurs économiques. Lesquels bénéficient d’importants moyens financiers, mais montrent beaucoup moins de (bonne) volonté à avancer sur la voie de la transition écologique.

Loïc Millot
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