Musique live

Good teeth team

d'Lëtzebuerger Land vom 19.02.2021

Depuis le début du « monde d’après », les institutions culturelles, luxembourgeoises y compris, ont débordé d’ingéniosité pour permettre à nouveau l’accès aux événements live. Bien que la Rockhal ait mis sur pied plusieurs initiatives digitales ou bien une série de concerts en plein air cet été, avec le festival Rockhal Garden, aucun spectateur n’avait plus foulé l’intérieur de la salle eschoise depuis mars 2020. Pour rectifier le tir, a été organisée une série de cinq concerts-tests intitulée Because Music Matters, avec à l’affiche des jeunes formations autochtones. Une semaine avant le lancement du marathon musical, il ne restait plus que quelques places disponibles pour le dernier concert. Celui du dimanche 14 février avec au programme C’est Karma et Francis of Delirium. Retour sur l’expérience.

L’accès au concert est conditionné par deux contreparties. Le prix du billet d’abord, douze euros, dans les standards donc. Puis, surtout, la présentation d’un test PCR négatif effectué sur place ou presque. Le stand de dépistage a été installé dans un local de la gare Belval-Université. On y entre avec un masque fraîchement déballé et offert par le personnel. On en ressort le masque trempé de morve et de larmes et épiés par les caméras qui immortalisent l’événement. S’ensuivent trois autres points de contrôle dont un portique de détection détonant dans le paysage. Une sensation d’entrer dans le terminal d’un aéroport se fait ressentir. Les membres du staff accompagnent les passagers jusqu’à leurs sièges pré-attribués. Une annonce vocale monotone accentue encore cette sensation. Le public, majoritairement familial, est placé en arc de cercle autour de la scène pensée comme un ring.

Vers seize heures trente, la ministre de la Culture Sam Tanson (Déi Gréng) monte sur la scène du Club. Dans un petit discours, prévisible au mot près mais très à propos, elle remercie le public qui a attendu dans le froid et se dit ravie de la réouverture au public d’une institution si importante. C’est ensuite au tour de Jana Bahrich de faire face au public. La co-fondatrice de Francis of Delirium entre, concentrée, le dos quasi voûté sous quelques applaudissements. Elle arbore sa déjà emblématique veste rouge, en adéquation avec sa musique sanguine. Francis of Delirium, c’est du rock home-made aux mélodies, il faut le dire, simplissimes mais diablement entêtantes. Elle est rapidement rejointe par Karma Catena alias C’est Karma, tête d’affiche du jour. Cette dernière, à la voix faussement candide et enrouée, et à l’état d’esprit gentiment punk, reste d’abord en retrait.

Les deux musiciennes enchaînent tour à tour des morceaux issus de leurs jeunes répertoires, aux quelques pépites toujours plaisantes à vivre en live. C’est notamment le cas lorsque Jana Bahrich entonne Quit Fucking Around. La chanteuse use des effets de réverbération et se permet des montées de voix assez ambitieuses. Elle ironise ensuite sur le fait que ses lamentations à bouche grande ouverte permettent aux spectateurs d’admirer sa dentition. Seule petite sortie qui fera réagir un tant soit peu le public. C’est Karma prolonge le bon mot et complimente sa collègue tout sourire, formant maintenant toutes deux la « good teeth team ». Elles unissent enfin leurs guitares et leurs voix pour un ultime morceau, une reprise de Gone signé Charli XCX et Christine and the Queens. La tentative est chancelante mais l’intention, honorable.

Quel constant peut-on donc tirer de ce retour aux affaires de la Rockhal ? D’aucuns plaideront le « tout ça pour ça ». Et pour cause, nos mâchoires en tombent lorsqu’on comptabilise les nombreuses ressources humaines et matérielles mises en place pour de si petites pastilles musicales, sympathiques mais sans surprise, aucune. On tranchera plutôt pour le « c’est toujours ça de pris ». La musique et la bonne humeur étaient au rendez-vous. Il manquait encore forcément une buvette, car traditionnellement, une bonne partie du public ne se déplace pas uniquement pour rassasier sa seule soif de musique. Mais ça, c’est une autre affaire.

Kévin Kroczek
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