Conseil Ecofin

Passez le mistigri

d'Lëtzebuerger Land vom 05.12.2002

La communication jouait un rôle de premier ordre, mardi, au Conseil « Écofin » devant trancher l'épineux dossier de la fiscalité des revenus d'épargne. Jean-Claude Juncker n'avait rien laissé au hasard. Dès jeudi, il avait au détour d'une réunion tripartite annoncé son veto à une levée du secret bancaire luxembourgeois. Il ne restait plus qu'au Service information et presse (SIP) de distribuer la bonne parole à la presse internationale.

À Londres, on suivait une stratégie similaire, mais bénéficiait d'infrastructures d'une autre dimension. Comme d'habitude, le SIP anglais, le Financial Times, annonçait dès mardi matin la position officielle du gouvernement de Sa Majesté : le Royaume-Uni se disait prêt à accepter un compromis avec les Suisses. Le mistigri passait dès lors aux mains du Luxembourg, de l'Autriche et de la Belgique. 

Ce n'était toutefois pas la dernière surprise pour Jean-Claude Juncker. À Bruxelles, la présidence danoise présentait une interprétation très particulière du dossier. Il était connu que le Luxembourg exigeait des « mesures identiques » en Suisse avant de lever son secret bancaire. Il était aussi connu que la Suisse était prête à introduire une retenue à la source pouvant aller jusqu'à 35 pour cent ainsi que d'échanger des informations sur demande avec les administrations fiscales de l'UE en cas d'« escroquerie fiscale », mais pas de fraude fiscale.

Les Danois ont construit de ces éléments un compromis voué d'avance à l'échec. Plutôt qu'une retenue à la source de quinze pour cent, en 2004, et vingt pour cent, en 2007 (comme le prévoit le compromis de Feira), ils proposent de commencer à vingt pour cent avant de passer à 35 pour cent. La carotte pour le Luxembourg et ses alliés était l'offre d'abandonner l'échange d'informations automatique entre banques et administrations fiscales pour le remplacer par un échange sur demande « selon les critères de l'OCDE ».

Le taux de retenue reviendra à coup sûr dans les négociations. Le modèle OCDE est toutefois voué à l'échec. Cette approche ne prévoit certes qu'un échange d'informations sur demande, mais élimine le critère de « double incrimination ». En clair, l'argument utilisé jusqu'ici par le Grand-Duché et la Suisse, que la fraude fiscale ordinaire n'est pas un délit pénal dans leur droit ne s'opposerait plus à ce que le secret bancaire soit levé en cas de suspicion de fraude fiscale. La Suisse et le Luxembourg ont déjà rejeté cette approche au niveau de l'OCDE.

Les chances qu'une avancée viendra de nouvelles négociations avec la Suisse sont donc des plus réduites. Si les ministres des Finances européens se revoient la semaine prochaine, ils risquent d'en être au même point que mardi. 

En attendant, le Luxembourg s'efforcera d'attirer l'attention sur l'ambiguïté persistante de la position britannique dans ce dossier. Alors que Feira prévoit un traitement égal à celui des métropoles pour les territoires associés ­ dans le cas du Royaume-Uni un échange d'informations automatique dès 2004 ­, Gordon Brown a présenté à l'« Écofin » des propositions différentes pour ce qui concerne Jersey, Guernesey et autres îles Cayman. 

Dans un court document de quatre pages, qui reste à être analysé en détail, les Britanniques ­ pourtant grands défenseurs de la transparence ­ indiquent que leurs dépendances suivront tout au plus les concessions faites par les Suisses.  Cependant, en acceptant en principe le compromis danois, le Royaume Uni s'est en fait rapproché pour la première fois du modèle de coexistence prôné par le Luxembourg. Une concession que Gordon Brown pourrait regretter.

Sur le plan de la communication, c'est toutefois Londres qui l'emporte. Mercredi, rares étaient ainsi les articles de presse qui n'accusaient pas les trois mousquetaires Luxembourg, Autriche et Belgique du blocage. 

 

 

Jean-Lou Siweck
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