Maux dits d’Yvan

FC Mühlenbach : panem et circenses

d'Lëtzebuerger Land vom 16.08.2019

L’Église a été séparée de l’État, il reste maintenant à séparer la mosquée du stade. Nos confrères du Quotidien ont en effet rapporté que le FC Mühlenbach bannira l’alcool et le porc de son stade Mathias-Mamer. Écoutons sa secrétaire-présidente Mersija Dragolovcanin : « Si l’on fait ça, oui, c’est par rapport à la religion, mais aussi parce que c’est illégal de vendre de l’alcool sur un stade. » Cette interdiction vient faire écho à la prescription de l’apéro saucisson-pinard, provocation nauséabonde de l’extrême droite en France il y a quelques années. Musulmans d’un côté, chrétiens de l’autre, ces communautés ont une drôle d’idée de la fête qui tire son origine des bacchanales antiques, ces festivités de plusieurs jours en l’honneur du dieu Bacchus, pour les Romains, ou Dionysos, pour les Grecs, qui se déroulaient sur fond d’effacement des différences, entre maîtres et esclaves, entre hommes et femmes, entre civilisés et barbares, comme on appelait en ces temps-là ceux qui ne parlaient ni grec ni latin. On jouissait alors d’être hors de soi, et on s’enivrait littéralement de fraterniser avec l’Autre et les autres.

Aujourd’hui à Mühlenbach, les bacchanales ont fait place au panem et circenses, au pain et aux jeux qui étaient en quelque sorte leur envers: dans l’arène on jetait l’autre en pâture, on le mettait à mort pour la plus grande jouissance de la plèbe.

Le football est malheureusement propice à l’expression de la haine raciale ; il n’y a qu’à penser aux cris de singe et autres bananes jetées dans les stades quand des joueurs africains foulent la pelouse, aux injures lancées aux stars maghrébines du Paris Saint-Germain, pourtant sponsorisé par les Quataris, et jusqu’au sms raciste reçu au printemps dernier par un joueur du … FC Mühlenbach.

Au Luxembourg cependant, nous feignons croire encore à l’harmonieux melting-pot du multiculturalisme sans voir que les différentes communautés cohabitent l’une à côté de l’autre plutôt que de vivre les unes avec les autres. Mais il est vrai aussi que le sport en général, et le football en particulier, peut fournir un terrain symbolique, un refuge pacifique pour nos identifications. Enfant de la Minette, je me souviens ainsi des derbies eschois qui étaient régulièrement des fêtes bon enfant où s’affrontaient les prolos de la Jeunesse et les bourgeois du Fola. Et en 98, les champions du monde blanc-black-beur ne faisaient grincer les dents qu’aux grincheux du Front National.

Mais quand la religion s’en mêle, le melting-pot risque de se muer en cocotte-minute, et l’arbitre se doit de siffler la fin du match et veiller à ce que la « Morgenröthe » de la raison, chère à Nietzsche, ne dégénère en crépuscule de l’obscurantisme. Nous ferons bien alors de méditer cette pensée du philosophe au marteau : Der Glaube « will einen ewigen Gesang über den Wellen, in denen die Vernunft ertrunken ist ! »

Paul Rauchs
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