Fiscalité de l’épargne

Casse-pipe

d'Lëtzebuerger Land du 19.07.2007

Le gouvernement est contraint, sous l’aiguillon de la Commission européenne, de rouvrir le chantier de la fiscalité de l’épargne de ses nationaux. La loi du 23 décembre 2005, qui a introduit une retenue à la source de dix pour cent sur certains revenus de l’épargne, « constitue un obstacle, tant à la libre circulation des capitaux qu’à la libre prestation de services », indique un communiqué de la direction de la fiscalité et de l’union douanière.

Ce qui coince est l’application exclusive de la taxe douce de dix pour cent sur les intérêts payés par les agents payeurs (c’est-à-dire les banques et les sociétés de bourse, puisque pour préserver le secret bancaire, ce sont les établissements qui se chargent de restituer le « précompte » de dix pour cent à l’administration des contributionset non pas le contribuable luimême, les petits épargnants ayant droit à une déduction ; d’où aussi le caractère libératoire de la retenue) établis au Grand-Duché. Les agents payeurs situés hors du territoire luxembourgeois en sont exclus.

Ce qui a pour conséquence que la ponction fiscale qui s’applique aux intérêts est plus proche de 40 que de dix pour cent. Effet dissuasif garanti pour les contribuables qui ont raison d’hésiter avant d’aller placer leur épargne à l’étranger, du moins celle qui n’est pas grise. Bruxelles a laissé deux mois aux autorités avant de réagir à son avis motivé, dernière étape avant la saisine de la Cour de Justice européenne. 

Personne ne devrait aller à la confrontation, c’est du moins ce qu’on promet du côté luxembourgeois. Le ministre CSV du Trésor etdu Budget, Luc Frieden, s’est en effet engagé, au lendemain de l’annonce de la procédure d’infraction à l’encontre du Luxembourg, à modifier les règles du jeu et de les conformer au droit européen. Il sait surtout que le dossier est indéfendable au regard des critères communautaires et que cette défaillance luxembourgeoise est plus de nature à desservir les intérêts et la crédibilité du pays qu’à les servir. 

L’attaque venant de la Commission n’a donc surpris personne.L’exercice de refonte du dispositif ne devrait toutefois pas être purement stylistique. Il devrait toucher aux fondements même de la loi sur la retenue à la source et poser de ce fait de sérieuses difficultés philosophiques et techniques, notamment sur la question de l’amnistie fiscale des contribuables qui ont garé leur argent à l’étranger et celle des remboursements que l’Administration des contributions directes sera peut êtreobligée de faire aux contribuablesaux comptes en banque baladeurs. Des considérations qui avaient été presque totalement occultées en 2005 – à escient, sans doute – lors des travaux prépara toires d’une loi qui fut présentée comme une petite révolution dans le droit fiscal luxembourgeois.

Accessoirement aussi, les travaux de révision de la loi pourraient remettre à plat les ambitions des banques dans la quête aux nouveaux résidents, ceux qui ont un compte en banque avec plein de zéros derrière. 

C’est pour la communauté financière que le dispositif fut instauré.Un taux à dix pour cent sur les intérêts de l’épargne comparé à destaux nettement plus élevés ailleurs, dans la marée européenne, combiné à l’abolition de l’impôt sur la fortune pour les personnes privées étaient tout de même censés apporter un peu d’air dans les affaires de la place financière.

La confection il y a plus de deux ans du projet de loi sur la retenue à la source nationale avait déjà été l’occasion d’étaler sans pour autant le résoudre le problème des résidents luxembourgeois disposant d’uncompte à l’étranger. Mais face à l’extrême complexité du dossier et surtout devant les intérêts en cause, le chapitre fut aussi vite fermé qu’il fut ouvert. Dans son avis sur le projet de loi, l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) évoquait en survol le « dualisme » entre les revenus d’intérêts sujets à la retenue et les revenus devant être déclarés et imposés par voie d’assiette au taux fort. Les banquiers mettaient du coup le doigt sur la plaie en soulevant « la question de l’imputation d’impôts étrangers retenus, dans une phase antérieure, sur les intérêts sujets à la retenue luxembourgeoise ». La réflexion n’alla pas plus loin. On laissa donc à leur sort les résidents luxembourgeois ayant des comptes à l’étranger pour ne traiter le dossier que dans sa dimension nationale,au risque de se faire épingler. 

Faut-il prévoir une dérogation au régime dualiste pour contournerla colle des 40 pour cent d’un côté et dix de l’autre, s’interrogeait lacommunauté financière ? « Le droit européen, relevait l’ABBL, pourrait obliger l’Administration des contributions directes d’imposer au taux de dix pour cent un revenu ‘déclarable’ (celui encaissé sur un compte étranger) ». C’est précisément le scénario qui est arrivé. Et c’est un peu le paradoxe de la loi du 23 décembre 2005 qui se voulait le miroir du dispositif mis en place pour la retenue au niveau européen. 

Le Conseil d’État avait aussi pointé du doigt, bien que très mollement, les contradictions et les restrictions du dispositif dans son avis du 12 décembre 2005 sur la RTS. Les Sages suggéraient alors aux députés d’étendre le « régime de faveur » de la retenue à dix pour cent, aux bénéficiaires résidents qui ont un compte à l’étranger. Ils fournissaient aussi une piste de réflexionpour contourner la nonconformité du projet de loi. 

Cette solution avait le mérite de concerner tous les revenus susceptibles de tomber à la fois dans le champ de la retenue luxembourgeoise et dans la ligne de mire de la fiscalité de l’épargne européenne.Un résident luxembourgeois ayant son argent dans un des pays appliquant un « précompte » de plus de dix pour cent, donc supérieur au taux luxembourgeois, aurait le droit de réclamer un crédit d’impôt à faire valeur sur l’impôt sur les revenus auprès de l’Administration des contributions directes. Piste d’autant pluscrédible, que la retenue européenne n’est pas libératoire. Pour les États pratiquant l’échange d’informations, le Conseil d’État suggérait de limiter d’office l’imposition par voix d’assiette à dix pour cent. Ses observations avaient toutefois été jugées « non pertinentes » par les membres de la commission des finances et du budget. Et quoi qu’il en soit, les Sages se contentèrent de formuler de « sé-rieuses réserves », se gardant bien toutefois d’opposer des « réservesformelles », qui auraient alors compromis l’adoption du texte en 2005 et son entrée en vigeur dès janvier 2006.

L’avis complémentaire qu’ils formuleront quelques jours plus tard restera d’ailleurs totalementmuet sur la nonconformité du projet au regard des normes communautaires alors que les membres du Conseil d’État sont tout de même censés jouer le rôle de gardiens du droit. Ce sont des nuits sans sommeil qui se profilent pour les experts des Finances qui auront à plancher sur lechantier de la RTS pour l’adapter aux standards communautaires. 

Car toucher à la retenue au niveau national implique fatalement une dimension communautaire. Comme l’harmonisation de la fiscalité de l’épargne dans l’Union européenne cache des situations différentes d’un pays à l’autre, la tâche s’avère plutôt complexe. L’UE avait fini par semettred’accord, après plus de dix ans de bataille sur le dossier. Ce fut toutefois au prix d’un compromis qui a d’un côté ménagéles pays à secret bancaire comme le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche (et la Suisse hors UE) et de l’autre appuyé les efforts des États membres pour mettre un frein à la délocalisation de l’épargne de leurs résidents, précisément vers les juridictions à secret bancaire. Le gros des troupes dans l’UE pratique l’échange d’informations sur les dépôts de leurs non-résidents. L’application du dispositif de la RTS à dix pour cent devrait se révéler moins cornélienne qu’avec les quelques juridictions qui ont choisi de préserver leur secret bancaire et donc appliquent une retenue. Le traitement de l’affaire risque même de se révéler difficilement gérable, vu les ressources humaines non-extensibles du fisc luxembourgeois, avec les pays comme la Belgique et même la Suisse, qui fut partie prenante des accords sur l’harmonisation de la fiscalité de l’épargne au niveau européen bien que ne faisant pas partie du club. 

Ces États ponctionnent aujourd’hui quinze pour cent sur les revenus de certains produits de l’épargne et pomperont progressivement 25 pour cent puis finalement 35 pour cent. Y aura t-il un remboursement par le fisc du trop-perçu par les résidents luxembourgeois qui ont leur argent en dehors du pays, comme l’avait suggéré, il y a deux ans le Conseil d’État ? C’est une question à trancher. La Cour de Justice européenne pourrait très bien d’ailleurs y mettre son grain de sable.Le problème va se corser davantage après 2011, lorsque la retenue au niveau européen plafonnera à 35 pour cent. Par exemple, le sort des dépôts des citoyens allemands (taxés actuellement à 25 pour cent) ayant un compte au Luxembourg risque de devenir lui aussi épineux. Question à mille euros : le contribuable allemand va-t-il pouvoir récupérer ses dix pour cent de trop perçu ? De quelle manière ? Tout le monde priait en 2005 pour que la Commission européenne se penche le plus tard possible sur la discrimination évidentequi se cachait derrière le dispositif entre les agents payeurs autochtones et les autres.

Bruxelles a quand même mis plus d’un an avant de lever le lièvre. Et ce ne serait pas cette fois un coup des banquiers belges, français ou allemands qui souhaitent avoir leur part du gâteau dans la quête des riches clients luxembourgeois, mais la rançon d’une législation construite à la va-vite. La retenue à la source de dix pour cent sur certains produits de l’épargne était le pendant national de ce qu’était la retenue de 15 pour cent sur certains revenus de l’épargne des non résidents. Il s’agissait en outre d’une promesse électorale du CSV en plus d’être un cadeau aux banquiers luxembourgeois qui rêvent toujours d’attirer au Grand-Duché de nouveaux résidents très riches mais aussi de récupérer les avoirs des autochtones fortunés hébergés sur des comptes en Suisse, notamment. C’est pour eux que le gouvernement avait introduit une mesure « de liquidation du passé ».Une amnistie qui ne disait pas son nom et qui n’en fut une qu’à moitié d’ailleurs. Le rapatriement des fonds de l’étranger a montré, dans la pratique, que l’Administration a une vision très restrictive de l’amnistie, ce que craignait déjà la communauté financière lors des travaux préparatoires de la loi. Le fisc s’était engagé à ne pas utiliser les informations reçues dans le cadre des déclarations fournies par les contribuables sur leurs comptes à l’étranger. Cela dit, les agents de l’ACD ne se font pas prier pour exploiter les informations qu’ils reçoivent en dehors de ce cadre, notamment les dénonciations ou les ouvertures de succession où il est exclu de passer l’éponge. L’administration peut remonter dix ans en arrière et taxer l’argent exhumé des comptes étrangers. À 40 pour cent, l’addition risque d’être salée pour certains contribuables, qui préfèreront sans doute laisser travailler leur épargne dans des structures patrimoniales passant à travers les mailles du filet de l’harmonisation fiscale en Europe. La révision de la loi du 23 décembre 2005 pourrait peut-être inciter le gouvernement à faire une vraie amnistie fiscale.

Véronique Poujol
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