L'idiot

La belle et les rapaces

d'Lëtzebuerger Land du 20.10.2005

Qu'est-ce qui fait le succès d'une pièce? Sa qualité bien sûr, la couverture médiatique également, le bouche-à-oreille qui va de pair avec les deux premiers, mais encore? Au Luxembourg, le fait qu'il s'agit de la mise en scène des grands textes de la littérature joue certainement aussi. L'adaptation théâtrale est alors une sorte de raccourci pour élèves n'ayant pas envie de se taper les quelque 800 pages que fait un bouquin comme L'Idiot de Dostoïevski et préférant quelques heures de théâtre scolaire installés confortablement dans les sièges du Théâtre des Capucins. Méchant? Peut-être, mais en tout cas, c'est l'impression qu'on pouvait avoir lors de la représentation, mercredi dernier à 18h30, horaire par ailleurs tout à fait sympathique pour se rendre au théâtre, alors que les rangs étaient très bien remplis par de très jeunes spectateurs et que la pièce néanmoins n'était guère convaincante. Cette entrée en la matière ne laisse probablement présager rien de bon, mais en réalité, la production était de celles qu'on subit sans trop de peine, mais qui ne laisse qu'un souvenir très flou peu de temps après avoir quitté la salle. L'Idiot c'est cette histoire, en soi formidable, d'un jeune prince qui débarque en Russie après avoir passé de longues années en Suisse, où il se faisait soigner pour son épilepsie. Une maladie à laquelle avait d'ailleurs également succombé Dostoïevski lui-même, peu de temps après que son père - qu'il détestait - s'était fait assassiner. Le Prince Mychkine devait être dans l'esprit de son créateur, une sorte de Jésus de son époque, candide et d'une innocence telle que, combiné à sa maladie, tout le monde le prenait pour un idiot. Et c'est justement ce personnage ingénu, qui n'a jamais connu l'amour, qui s'éprend de la belle mais dépravée Nastassia Philippovna (Jade Duviquet). D'ailleurs, dans la mise en scène d'André Bourseiller, c'est la belle Philippovna qui joue le premier rôle plutôt que le prince (Alexandre Ruby) légèrement plus effacé. Tout ou presque tourne autour de la jeune femme, d'une beauté rare, mais incapable de mener sa vie, entourée d'hommes qui ne souhaitent que l'acheter ou s'enrichir grâce à elle, et elle les laisse faire. Elle finit par choisir l'innommable Rogojine (Hervé Sogne), dans un autre registre tout aussi dépravé qu'elle, au détriment du prince. Le metteur en scène d'ailleurs, aime à souligner que Fédor Dostoïevski lui-même voyait dans son Idiot quatre héros. En tout cas, si de la pièce il reste quelque chose, ce sont surtout les scènes de la jeune femme avec les hommes à ses pieds. C'est dans l'affrontement entre le prince, Rogojine et la belle que l'on retrouve le plus les échos du texte de Dostoïevski. Quelques éléments réussis dans la mise en scène encore, le jeu avec les lumières et ce jeu combiné à certaines images, sauvent la pièce. Une combinaison qui fonctionne particulièrement bien lorsqu'un des prétendants se retrouve chez sa mère, des fresques ornant le mur, le tout plongé dans une lumière rougeâtre. La mère et la sœur du jeune homme - avide de la dot de Philippovna -, en désaccord total avec un hypothétique mariage entre la belle et son fils font toutes les deux figure de religieuses dans un tableau médiéval. Voilà au moins un instant mémorable. Au final, reste néanmoins une pièce incolore et inodore, un grand classique certes, mais la force duquel est passé à la trappe, quelque part entre l'adaptation, la mise en scène et le jeu d'acteur.

L'Idiot de Dostoïevski, dans la traduction française d'André Markowicz, adaptation [&] mise en scène d'Antoine Bourseiller a été monté au Théâtre des Capucins ; avec : Jade Duviquet, Patricia Fichant, Colette Kieffer, Claudine Pelletier, Roya Zargar, Jean-Paul Journot, Philippe Noesen, Marc Olinger, Alexandre Ruby, Désiré Saorin, Hervé Sogne, Jérôme Varanfrain et la voix de Suzanne Flon. Plus de représentations prévues.

 

 

Sam Tanson
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