Entretien avec Bernard Baumgarten

Sylvia, Gianfranco, Jean-Guillaume et les autres

d'Lëtzebuerger Land vom 09.06.2005

d'Lëtzebuerger Land: Après vingt ans d'existence, le Festival de danse Cour des Capucins change de nom et de concept pour devenir le Danzfestival Lëtzebuerg. Pourquoi??

Bernard Baumgarten: En fait, nous voulions carrément arrêter après vingt ans. À l'époque de la création du festival, l'objectif de Christiane Eiffes, la directrice de Théâtre dansé et muet (TDM) et de Marc Olinger, le directeur du Théâtre des Capucins, était d'amener la danse contemporaine au Luxembourg. Vu la météo luxembourgeoise, leur programmation en plein air entraînait souvent le double du travail, il fallait monter la scène dans la cour du théâtre et prévoir une solution alternative en cas de pluie. Mais le festival atteignait son objectif et permettait de découvrir de la danse contemporaine au Luxembourg, voire, il était même devenu une attraction touristique. Puis j'ai rejoint l'équipe, nous avons décidé de ne plus danser qu'en intérieur, nous avons abandonné la cour et nous avons commencé à délocaliser le festival, à prévoir des représentations dans tout le pays… Mais aujourd'hui, la situation de la danse contemporaine n'est plus la même: le Grand Théâtre de la Ville, le Centre des arts pluriels à Ettelbruck, le Théâtre d'Esch et même maintenant le Kulturhaus à Mersch… tous programment désormais des spectacles de danse contemporaine de grande qualité. Donc nous considérions tout simplement que la mission du festival – celle de faire découvrir la danse contemporaine aux Luxembourgeoise – était accomplie. Mais nous nous sommes demandés alors quels restaient les points faibles de cette nouvelle carte de la danse contemporaine au Grand-Duché, et nous avons vite constaté qu'il se situait du côté de la visibilité de la «danse luxembourgeoise» dans la grande région. C'est alors que nous nous sommes dits: mais faisons une plateforme pour la danse autochtone.

Un festival de chorégraphes luxembourgeois uniquement, mais pour quel public??   En fait, nous avons élaboré un concept sur trois ans: la première année, nous nous concentrons sur les créateurs luxembourgeois. La deuxième année, nous allons élargir sur la «petite région» et inviter des chorégraphes de Metz, Arlon, Trèves, ou Sarrebruck ; et la troisième année, donc en 2007, nous allons embrasser toute la Grande Région, telle que définie dans le concept de l'année culturelle aussi. Nous voyons le festival comme une plateforme qui permette au public luxembourgeois de découvrir, sous une forme concentrée, toutes les créations des derniers mois au Luxembourg, et qui puisse servir de base d'échange pour les professionnels, comme par exemple des programmateurs que nous invitons et qui peuvent y acheter des productions. C'est pourquoi nous avons prévu trois Volumes avec trois générations de chorégraphes: les très jeunes (Tania Soubry, Anne-Mareike Hess, Linda Gieres) ouvrent les soirées, comme un «opener» d'un concert de rock, avec une chorégraphie de dix minutes seulement. Puis des jeunes chorégraphes – comme Sylvia Camarda – ont 25 à trente minutes pour présenter une de leurs créations. Et les soirées se terminent sur un spectacle d'un chorégraphe rôdé, comme Jean-Guillaume Weis, moi ou Anu Sistonen… Cela nous permet de donner un bon aperçu de la scène dans des programmes compacts sur trois soirées seulement.

Le Danzfestival serait donc une sorte de «best of» de la création chorégraphique au Luxembourg. Vous en êtes le directeur artistique, selon quels critères avez-vous fait le choix et sélectionné les spectactles?

J'ai tout simplement contacté les gens et leur ai demandé ce qu'ils avaient à nous proposer, qui corresponde au concept et au format demandé. Notre premier problème est le budget: nous n'avons pas les moyens nécessaires pour produire de nouveaux spectacles, donc nous pouvons seulement acheter des spectacles existants – respectivement des extraits de ces spectacles. Pour la première édition du festival, je ne voulais pas faire de choix qualitatifs, mais nous demandions un certain professionnalisme: les spectacles doivent par exemple pouvoir aller en tournée, si jamais ils étaient achetés par un programmateur. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer l'effort: la plupart des chorégraphes travaillent avec des danseurs étrangers, qui doivent revenir exprès au Luxembourg, ce qui constitue un poste considérable….

Si vous allez élargir votre rayon dans la Grande Région d'ici 2007, vous allez tomber sur une scène très vigoureuse à Charleroi par exemple, qui a une vraie identité en matière de danse contemporaine. Est-ce que vous voyez aussi une telle «signature» de la chorégraphie luxembourgeoise? Y a-t-il une «école luxembourgeoise» ou un vocabulaire commun à tous les chorégraphes autochtones?

Je ne sais pas encore – c'est ce que j'espère déceler d'ici trois ans. Tous les chorégraphes, comme Gianfranco Celestino et Sylvia Camarda à la compagnie C de la B ou Jean-Guillaume Weis chez Pina Bausch, ont fait leurs écoles à l'étranger, dans des compagnies de renom, ils en ont certainement rapporté quelque chose… Mais je me demande s'ils en ont fait quelque chose de personnel, qui leur soit propre? Je m'interroge moi aussi sur cette identité potentielle de la danse au Luxembourg: a-t-elle quelque chose d'incomparable, d'unique ? Ou son identité consiste-t-elle uniquement dans un mélange de ces multiples influences rapportées de partout – ce qui peut aussi constituer une identité… ? J'espère en savoir plus d'ici 2007.

Comment vous expliquez-vous cette nouvelle vigueur de la scène au Luxembourg, tous ces jeunes danseurs qui se font chorégraphes et se lancent avec un premier spectacle?

C'est un phénomène international, de plus en plus de villes ou d'institutions culturelles lancent leurs propres festivals de danse… Au Luxembourg, on avait pendant très longtemps l'impression que la danse n'existait pas, et puis soudain, elle est partout. Nous en sommes bien sûr très satisfaits, je crois pouvoir dire que c'est aussi un peu le fruit du travail de longue haleine de TDM. Ce qui prouve à nouveau qu'il ne faut jamais considérer les choses à court terme, mais penser dans des échéances plus longues…

Est-ce qu'on peut vivre de la danse aujourd'hui?? Oui. Mais il faut s'organiser. Personnellement, je combine par exemple plusieurs activités – et donc sources de revenu: je suis chorégraphe, mais je donne aussi des cours, en plus des activités comme la direction artistique du Danzfestival. Les chorégraphes que nous avons sélectionnés cette année dans le festival en vivent tous ; la plupart ont encore des engagements en tant que danseurs à l'étranger, comme Sylvia Camarda, qui vient de décrocher un rôle dans la dernière création de Jan Fabre.Un phénomène frappant est cette tendance des danseurs qui se lancent tous en ce moment dans une carrière de chorégraphes – avec plus ou moins de réussite. Y a-t-il une explication à cela?? Je crois que c'est dû à la manière de travailler des grandes compagnies dans lesquelles ils dansent, les chorégraphes demandent énormément d'investissement créatif personnel aux danseurs. Qui souvent se disent alors qu'ils peuvent tout aussi bien passer de l'autre côté de la barrière. Mais ce n'est pas parce qu'on sait faire un bel enchaînement de mouvements qu'on est chorégraphe ; souvent ces spectacles échouent avec la dramaturgie, parce qu'ils n'arrivent pas vraiment à raconter une histoire. Le problème est qu'il n'y a pas d'école pour chorégraphes, on ne peut pas vraiment l'apprendre autrement que sur le tas.À ce stade, qu'est-ce qui manque encore à la scène luxembourgeoise??   Une plateforme d'expérimentation pour les jeunes talents et ceux qui veulent essayer des idées sans tout de suite avoir la prétention de monter tout un spectacle. TDM avait l'idée de lancer des sortes «d'ateliers» dans ses locaux, rue de Strasbourg, qui sont assez exigus, mais suffiraient, je crois, pour ce type d'expérimentations.Et l'export? L'étiquette «danse made in Luxembourg» est-elle pénalisante ou valorisante à l'étranger? Vous en avez fait l'expérience avec votre compagnie UnitControl… Ni l'un, ni l'autre, je dirai. Au début, les gens trouvent cela exotique, mais de l'autre côté, ils se disent que s'ils n'avaient jamais rien entendu de la danse luxembourgeoise, il devait bien y avoir une raison à cela, pourquoi ce serait bon… Les compagnies doivent savoir se vendre chacune à leur manière et c'est bien ce que nous regrettons. TDM essaie de travailler avec les ambassades luxembourgeoises afin de faire une promotion commune de la danse luxembourgeoise, ils viennent même de lancer un catalogue commun. Mais beaucoup reste à faire dans ce domaine, car la culture luxembourgeoise a de plus en plus de choses intéressantes à offrir!Danzfestival Lëtzebuerg 2005: Volume 1, 18 juin à 20 heures: Bernard Baumgarten et UnitControl: Details / Annick Pütz, Gianfranco Celestino et United Instruments of Lucilin: Drumming de Steve Reich. Volume 2, 20 juin à 20 heures: Tania Soubry: Full House / Sylvia Camarda et Missdeluxedanceco!: Absolutely Fabulous / Jean-Guillaume Weis et ses Dance People: Principe d'incertitude. Volume 3, 25 juin à 20 heures: Anne-Mareike Hess: SSEH / Linda Gieres: White Moment / Anu Sistonen et sa compagnie: Rain, en duo avec André Mergenthaler et Sibelius. Tous les spectacles ont lieu au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg ; adultes: 20 euros, jeunes: 8 euros ; tickets par ticket@pt.lu; www.luxembourgticket.lu ou par téléphone: 47 08 95-1 ; pour plus d'informations: www.danzfestival.lu.

 

 

josée hansen
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