Une volatilité accrue sur les marchés financiers

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d'Lëtzebuerger Land du 29.05.2020

Speculation vs reality La chute était attendue, et elle fut brutale. Le rebond était espéré et il fut plus rapide et plus vigoureux que prévu. Dès la fin février, au moment où la situation en Chine et en Italie laissait deviner la gravité de la pandémie et de ses conséquences humaines et économiques, les principaux indices boursiers mondiaux ont dévissé : entre le 20 février et le 20 mars, ils ont perdu entre 33 et 38 pour cent de leur valeur. Seul le Nikkei limitant la casse à une baisse de 29 pour cent. Mais, alors même que le confinement ne faisait que commencer dans la plupart des grands pays, la hausse a repris de manière spectaculaire. En à peine deux mois (23 mars-25 mai) l’indice allemand DAX 30 a gagné 35 pour cent, l’Eurostoxx 50 24,5 pour cent, le CAC 40 français et le britannique FTSE 100 étant à la traîne avec « seulement » 21 pour cent de hausse. Hors d’Europe, le Nikkei a pris 28,5 pour cent tandis que le Dow Jones et le S&P 500 s’adjugeaient 32 pour cent de mieux. Avril 2020 a été e meilleur mois boursier aux États-Unis depuis plus de trente ans ! Plusieurs indices (Nikkei, S&P 500) ont retrouvé fin mai leur niveau de l’automne 2019, tandis que d’autres (Eurostoxx 50, DAX 30, CAC 40) sont revenus à celui de début 2019. Tout cela alors que l’économie mondiale s’enfonce dans la crise : mi-mai la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva a prévenu que la mise à jour de ses projections courant juin débouchera sur « un peu plus de mauvaises nouvelles ».

Le décalage entre l’évolution de « l’économie réelle » selon la terminologie d’aujourd’hui et celle des marchés financiers, qui, selon un article publié le 5 mai dans le magazine américain In These Times « is destroying our lives », est une préoccupation qui remonte au XIXe siècle ! Les bourses de valeurs sont réputées mal représenter le tissu économique d’un pays. En France, où l’on estime à plus de 150 000 les sociétés éligibles à une cotation en bourse, moins de mille le sont effectivement sur les trois marchés parisiens gérés par Euronext. Avec ce total modeste ce pays se place pourtant avant les États-Unis en valeur relative : quinze sociétés cotées par million d’habitants contre 13,3 outre-Atlantique, où le nombre d’entreprises « listées », moins de 4 000, a été divisé par deux en vingt ans. En Allemagne, le marché principal de la Deutsche Börse compte à peine plus de 400 participants. En pratique seules les plus grandes sociétés sont présentes en bourse, et encore pas toutes, car parfois leur forme juridique ne leur permet pas d’émettre d’actions (cas de la SNCF jusqu’au 31 décembre 2019).

Les indices boursiers, jauge de la volatilité, sont régulièrement contestés pour le choix des sociétés retenues et les pondérations affectées aux différents secteurs de l’économie. Et les plus connus, à l’exception notable du S&P 500 aux États-Unis et du FTSE 100 au Royaume-Uni, ne prennent en compte qu’un nombre réduit de sociétés : quarante en France pour le CAC, trente en Allemagne pour le DAX et trente également aux États-Unis pour le Dow Jones Industrial Average. Le fonctionnement au quotidien des marchés financiers est souvent marqué par l’irrationnalité, des mouvements de panique succédant à des phases d’euphorie sans forcément de lien étroit avec les fondamentaux de l’économie : on attribue ainsi le rebond intervenu fin mars autant aux espoirs très prématurés de découverte d’un vaccin qu’à l’intervention massive des banques centrales et des Etats. L’étude de ces anomalies et aberrations, où les états d’âme, les rumeurs et les fake news occupent aussi une place de choix, a même donné naissance à une nouvelle discipline, la finance comportementale.

Tout nu sur les rochers La volatilité ne devrait pas s’atténuer dans les prochains mois, car « les rochers monstrueux apparus brusquement » évoqués par Victor Hugo dans son poème Les Pauvres Gens (1859) n’ont pas disparu du paysage. Une rechute des marchés est possible et même probable lorsque les diverses aides dont bénéficient les entreprises (comme les reports de mensualités de crédit) et leurs salariés prendront fin, à l’automne. On pourra alors vérifier si, conformément à la phrase prêtée au financier américain Warren Buffett « c’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus ». La reprise économique espérée est loin d’être acquise. Dans la plupart des activités de services le manque à gagner du printemps et du début de l’été ne se rattrapera pas. Dans l’industrie il faudra d’abord écouler d’énormes stocks avant de reprendre la production. Plusieurs secteurs auront du mal à se remettre, d’autant que la reprise attendue des ventes pâtira de la baisse du pouvoir d’achat et des nouveaux comportements de consommation qui, adoptés pendant la crise, lui survivront sans doute. Les résultats futurs des entreprises cotées vont en subir les conséquences et, comme sur les marchés financiers, les cours se nourrissent des anticipations sur les bénéfices à venir, ils en seront forcément affectés. Certains experts se demandent déjà si les actions n’ont pas trop monté depuis mars !

La volatilité des marchés fait fuir les investisseurs particuliers. En France la détention directe d’actions a chuté depuis le pic de huit millions d’actionnaires individuels de sociétés cotées atteint en 2007. Depuis il a été divisé par deux tandis que la souscription d’actions non cotées d’entreprises dynamiques (private equity) ne cesse de progresser. Les épargnants modestes et moyens se tournent vers les placements bancaires très faiblement rémunérés mais sans risque et souvent assortis d’avantages fiscaux. En Allemagne le nombre d’actionnaires directs, qui n’a jamais été très élevé, a baissé de 760 000 personnes depuis 2017. Il est à peine meilleur qu’en France mais en proportion de la population adulte la possession d’actions est inférieure (6,5 pour cent contre 7,5). Dans ce pays où le taux de l’épargne est très élevé, elle se dirige aussi en majorité vers des placements bancaires et les fonds.

Comme la détention d’actions est proportionnellement plus importante parmi les catégories sociales favorisées (la moitié des titres détenus par les ménages américains appartiennent au premier pour cent des plus riches) la spéculation permise par la forte volatilité des marchés est aussi un facteur d’aggravation des inégalités. Mais si les investisseurs sont perturbés les émetteurs de titres le sont tout autant, lever des fonds en période de forte volatilité s’avère compliqué surtout pour les entreprises moyennes, qui, très peu présentes sur les marchés obligataires, cherchent plutôt à émettre des actions. Les introductions en bourse et les augmentations de capital chutent. Selon le rapport IPO Watch du cabinet PwC en 2019 en Europe le nombre d’introductions a diminué de 46 pour cent et le montant des fonds levés de 36 pour cent, pour cause de dégradation des relations commerciales internationales. De plus les opérations ont été très concentrées, les cinq plus importantes ayant mobilisé 39 pour cent des capitaux levés. En janvier l’année 2020 s’annonçait très incertaine pour cause de Brexit et de présidentielle américaine. On connaît la suite.

Sorties de bourse Mais un autre mouvement se fait jour. Quoique d’une ampleur limitée, il est révélateur des problèmes rencontrés par les entreprises cotées : les sorties de bourse « pour convenances personnelles » se sont multipliées. A plusieurs reprises au cours des dernières années, de grandes entreprises ont exprimé le souhait de « quitter la cote ». Ce fut le cas de Tesla en août 2018, après que son action a été sévèrement chahutée. Selon son fantasque CEO Elon Musk, la cotation s’avère être une source « de pression et de distraction qui favoriserait le court-termisme ». Mais le constructeur automobile a rapidement renoncé à son projet, face à la complexité et au coût de sa mise en œuvre. Dell, au contraire, l’a mis à exécution en 2013, en contractant une dette bancaire de plus de 30 milliards de dollars pour racheter ses titres. Épuisé par l’obligation de produire de bons résultats chaque trimestre pour éviter la sanction du marché, Michael Dell souhaitait pouvoir reconfigurer sa société, sans craindre l’inévitable diminution des profits qui en résulterait, avec un horizon de plus long terme et à son propre rythme. Mais au bout de cinq ans, fin décembre 2018, Dell Technologies est revenu en bourse en fanfare : avec un prix de ré-introduction de 46 dollars, 3 fois et demi supérieur à celui de la sortie et une hausse de 43 pour cent dans les semaines suivantes, Michael Dell, qui détenait alors environ 70 pour cent du capital, a réalisé une belle opération, de quoi lui faire oublier ses déclarations anti-bourse passées.

En revanche la célèbre société de cosmétiques Clarins, après s’être totalement émancipée de la pression boursière en 2008, après 24 ans de cotation, ne regrette rien et n’envisage pas de retour. Pour son PDG, Olivier Courtin-Clarins l’introduction en bourse a permis à l’entreprise de bénéficier d’une notoriété mondiale, mais pas, comme elle l’espérait, d’acquérir certains concurrents en payant en actions. De plus il lui devenait difficile de mener une stratégie sur le long terme car « nous devions expliquer tous nos gestes, justifier chacun de nos investissements qui devaient être profitables presque immédiatement ». Pour couronner le tout, des rumeurs de rachat du groupe familial par L’Oréal et LVMH circulaient en permanence et déstabilisaient l’entreprise avec comme conséquence une forte volatilité du cours de l’action. En pleine crise financière les actionnaires familiaux ont pu emprunter 820 millions d’euros auprès d’un syndicat de cinq banques françaises pour racheter les 35 pour cent de « flottant » et quitter la cote. La dette est aujourd’hui presque entièrement remboursée et depuis le retrait de la bourse les dirigeants se disent « beaucoup plus sereins ».

Georges Canto
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