Maux dits d’Yvan

Ubu, roi des vaccins

d'Lëtzebuerger Land du 26.02.2021

« Les vieillards, il faudrait les tuer jeunes. »
(Alfred Jarry)

On glose beaucoup sur la perte des libertés que nous impose la crise sanitaire. Il y en a une, notamment, qui s’est fait la malle, tout doucement, sans qu’on ne s’en aperçoive, et c’est celle, signe des temps, de la liberté de prescription du médecin. Une ébauche de dictature qui relève de la double peine, frappant à la fois nos libertés et notre santé et qui est pour cela doublement révélatrice et symptomatique des dangers véhiculés par la Covid-19.

Au Luxembourg, le médecin a le « choix » actuellement entre trois vaccins anti-Covid, ceux des laboratoires Moderna et Pfizer qui reposent sur la nouvelle technique qui recourt à l’ARN, et celui d’AstraZeneca qui utilise la technique classique de l’antigène désactivé. Pour ce dernier, on manque encore d’études sur son efficacité pour les patients âgés de plus de 65 ans, et il semble aussi moins efficace contre la mutation sud-africaine du virus qui sévit actuellement chez nos voisins du département de la Moselle. Les Belges l’interdisent ainsi pour les plus de 55 ans, les Français et les Luxembourgeois pour les plus de 65 ans, et il n’y a guère que les Anglais pour le distribuer à tout-va, sans limitation d’âge. Il est vrai que c’est eux qui le produisent et les Belges qui en manquent. Pour le dire cyniquement avec Aleksandar Vucic, le président serbe, orfèvre en matière de médecine et de démocratie : « Le meilleur vaccin est celui qui est disponible ». Au Luxembourg, justement, depuis le 4 février, on croule sous le stock des doses AstraZeneca et on impose donc aux médecins de le prescrire larga manu dans le cadre du programme vaccinatoire, Et tant pis si le patient est âgé de 64 ans et dix mois et vit près de la frontière française. S’il est vrai que la médecine est un art qui se sert de la science, il est tout aussi vrai que la politique est un art qui se sert de la médecine et de l’économie.

Voilà ce qui explique sans doute la situation ubuesque qui règne au centre de vaccination du Limpertsberg. Un médecin-alibi se borne à remplir un questionnaire avec le patient et « sélectionne » (terme de sinistre mémoire) le vaccin prévu par l’autorité. Il y a certes, semble-t-il, un médecin directeur du centre, mais celui-ci, débordé par l’ampleur de sa tâche purement administrative, ne peut rencontrer le patient qui aurait l’outrecuidance de lui demander ne serait-ce qu’une entrevue. « Merdre de merdre », le roi Ubu aurait-il usurpé le pouvoir au Limpertsberg et à la Villa Louvigny, où la déraison bureaucratique prime désormais sur la raison médicale et démocratique ?

Certes, absence actuelle d’études ne veut pas forcément dire moindre efficacité, et on conçoit mal pourquoi un vaccin serait moins probant passé la date butoir de 65 ans. Mais s’il existe un reste de risque de devoir revacciner certaines personnes, on ne peut que s’étonner de la rigidité avec laquelle se voit suivie la directive de prescrire obligatoirement l’AstraZeneca au moins de 65 ans. Le plan quinquennal, de sinistre mémoire, aurait-il remplacé les best practices ? La pandémie remet ainsi au goût du jour l’obéissance anticipative, la « vorauseilender Gehorsam », et il n’y a pas que les conspirationnistes avérés qui se demandent si des willing executioners ne se frottent pas déjà les mains devant ce nouveau délitement de l’État de droit.

Mais que le bon peuple se rassure. Si jamais il déprime devant cette menace à la fois sanitaire et démocratique, il pourra toujours espérer se faire prescrire un antidépresseur. Aux dernières nouvelles, le Prozac serait efficace contre certaines formes graves de la Covid-19.

Yvan
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