Art contemporain

Hécey is back

Erna Hécey dans sa nouvelle galerie
Photo: Trash Picture Company
d'Lëtzebuerger Land du 09.11.2018

« Je suis un peu comme Denise René, je serai galeriste jusqu’à mon dernier souffle ! » lance Erna Hécey dans le bel espace lumineux de son nouvel espace d’exposition. Denise René était l’emblématique galeriste de la deuxième moitié du XXe siècle à Paris, qui introduisit l’abstraction géométrique et l’art cinétique ; elle est morte presque centenaire en 2012. Erna Hécey a l’âge où on ne le demande plus aux dames, est déjà grand-mère et lorsqu’elle ferma sa galerie bruxelloise, en 2011, on la croyait à la retraite. L’annonce de l’ouverture de sa nouvelle galerie éponyme, fin octobre, était donc une surprise. « En fait, je n’ai jamais arrêté de travailler », insiste-t-elle, assise devant une magnifique tête de Néfertiti brisée du duo hongrois Little Warsaw, dans son espace bureau. Elle s’était réorientée vers le conseil et l’organisation de projets en art contemporain, « mais avec le temps, j’ai constaté que l’exposition comme outil ou comme médium devenait de plus en plus indispensable ». Donc elle chercha longtemps un espace plus central, sur rue, mais les loyers sont prohibitifs – comment gagner assez d’argent avec de l’art contemporain réputé plus difficile d’accès pour pouvoir payer un loyer de 6 000 euros ? Il faut se souvenir de ses belles galeries : d’abord, au début des années 1990, avec son mari de l’époque, Jean Aulner, sous le nom de Galerie de Luxembourg rue Monterey, au-dessus de la Galerie Beaumont, puis Boulevard du Prince Henri, avec deux espaces, côté cour et côté rue, à partir de 1997, avant de partir s’installer à Bruxelles pour six ans. Elle aurait pu plus facilement trouver un local à Bruxelles ou dans une autre grande ville. Mais Erna Hécey a voulu revenir au grand-duché. « Il était très important pour moi d’être au Luxembourg, raconte-t-elle, je me sens très enracinée ici ». Aussi parce que ses fils et leurs enfants vivent ici.

Faute de trouver pignon sur rue, malgré ses nombreuses démarches, aussi auprès de la Ville de Luxembourg, Erna se rabat donc sur le plus évident : elle exposera dans son appartement privé. Elle n’est pas la première à faire ça, la plus grande star parmi les curateurs d’art contemporains actuels, Hans-Ulrich Obrist, a commencé sa carrière avec ses Kitchen Shows en 1991 à Saint-Gall en Suisse, où il montra Boltanski, Richard Wentworth et Fischli & Weiss dans sa cuisine, « de manière très peu spectaculaire ». Erna Hécey va toutefois moins loin dans le formalisme. Elle a fait réaménager l’espace par l’architecte Marc Gubbini, qui est collectionneur lui-même et avait déjà conçu l’espace du boulevard Prince Henri. Dans cet immeuble moderniste au style dépouillé, remontant au début des années 1970, qui se situe derrière le Grand Théâtre au Limpertsberg (l’entrée se trouve entre la Banque Rothschild et l’ambassade américaine, il n’y a pas de panneaux indiquant l’endroit), Gubbini a décloisonné l’espace et construit un couloir alentour, le long des fenêtres en aluminium dont la vue donne sur les arbres de la vallée et le Pont rouge. Tout y signifie désormais qu’on est bien dans un espace d’exposition d’art très contemporain.

Erna Hécey y montre des positions radicales, comme elle l’a toujours fait. De Marcel Broodthaers, « qui est très important pour moi parce qu’il a défini ma manière de voir l’art », au jeune Luxembourgeois Jeff Weber, lauréat des Prix Steichen et Bert Theis, dont elle montre des photos en noir et blanc, en passant par une grande photo de la féministe Eleanor Antin, une peinture murale de Lawrence Weiner (traduite en luxembourgeois !), les questions des femmes de Jef Geys ou une petite maquette architecturale d’un pavillon de Dan Graham – on retrouve l’esthétique Hécey comme on l’avait quittée à Bruxelles. Il y a les artistes auxquels elle a toujours été fidèle : Peter Friedl, Nedko Solakov ou Bert Theis (avec des collages des années 1980) ou des découvertes comme Little Warsaw (qui sont dans la collection du Mudam) ou Roee Rosen (voir aussi page 16). Comme toujours, l’accrochage est intelligent, joue avec des associations formelles ou de contenu. On en sort avec l’impression qu’une parenthèse spatio-temporelle se ferme.

L’exposition inaugurale Thinking ahead chez Erna Hécey Luxembourg, au premier étage du 20C Boulevard Emmanuel Servais à Limpertsberg dure encore jusqu’au 31 janvier 2019 ; ouvert jeudi et vendredi de 14h30 à 19h30, samedi de 11 à 18 heures et sur rendez-vous ; courriel : office@ernahecey.com ; site internet : www.ernahecey.com.

josée hansen
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