Petit tour sur les marchés français, britannique, allemand et américain pour voir que se loger devient de plus en plus coûteux

Crise mondiale dans l’immobilier

d'Lëtzebuerger Land du 15.09.2023

Le marché immobilier n’existe pas. C’est ce que prétendent certains experts, qui considèrent que son extrême segmentation interdit toute analyse globale. Immobilier résidentiel vs commercial, d’habitation vs locatif, résidence principale vs secondaire, neuf vs ancien, sont les distinctions les plus courantes, sans parler des différences entre les régions au sein d’un même pays, et, d’un pays à l’autre, des spécificités juridiques, fiscales et bancaires. Ces experts y voient comme preuve que la crise financière de 2007-2008 a profondément affecté le secteur immobilier dans certains pays comme l’Irlande ou l’Espagne alors que d’autres ont été presque totalement épargnés. Cette argumentation, qui ne manque pas d’intérêt, néglige le fait qu’au-delà de leurs différences, ces segments ont pour point commun leur dépendance à l’évolution des taux d’intérêt. Dans l’immobilier résidentiel par exemple, une partie importante des acquisitions, notamment celles des « primo-accédants » nécessitent le recours à l’emprunt. Selon des chiffres de la Commission européenne, le Luxembourg est le deuxième pays en Europe pour la détention de crédits hypothécaires par les ménages (46 pour cent), derrière les Pays-Bas (48 pour cent).

L’évolution des taux depuis le début 2022 a déjà provoqué de fortes turbulences, avec notamment des chutes des ventes plus ou moins marquées selon les pays. Comme elle a un caractère mondial, beaucoup plus de pays que lors de la crise de 2007-2008 sont aujourd’hui concernés. Sa poursuite fait naître les craintes les plus sérieuses pour une activité qui pèse pour douze pour cent du PIB européen, 17 pour cent du PIB américain et encore davantage en Chine. Quelques jours avant le 18e sommet du G20 à New Delhi les 9 et 10 septembre, le Financial Stability Board (FSB ou Conseil de stabilité financière), un organisme international créé en 2009, a alerté les dirigeants des pays membres sur les tensions possibles sur les marchés financiers au cours des prochains mois, qui impliquent que les secteurs les plus sensibles aux taux d’intérêt, comme l’immobilier, soient particulièrement surveillés, tout comme les acteurs qui les financent, qu’ils soient bancaires ou non bancaires. Cela dit, malgré un marasme désormais global, les spécificités locales demeurent, comme le montre un aperçu de trois marchés européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) et de celui des États-Unis. La Chine connaît aussi une grave crise immobilière mais son cas est particulier ; il n’a rien à voir avec la hausse des taux, mais est lié au dégonflement (depuis 2021) d’une bulle immobilière telle que le secteur avait fini par représenter trente pour cent du PIB.

En France, à fin août, la chute de la production de crédits atteignait 43 pour cent sur un an. Le coup de frein aux transactions est violent sur le marché du logement ancien, alors que celui du neuf reste en plein marasme. Les tensions sont de plus en plus vives à la location. La Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) envisage pour 2023 une chute inédite de 17 à 18 pour cent des transactions dans l’ancien, mais certains experts évoquent plutôt une baisse de 35 pour cent ! La baisse des prix est désormais entamée sur l’ensemble du territoire mais elle reste limitée, car les vendeurs peinent à diminuer leurs prétentions. Elle est insuffisante pour compenser la hausse des taux d’intérêt d’emprunt. L’immobilier reste cher en France. A Paris, malgré une baisse récente, le prix du m² reste supérieur de 53 pour cent à son niveau de 2008.

Les professionnels de la transaction immobilière, agences et mandataires, se retrouvent en grande difficulté. Le segment du logement neuf est toujours sinistré. Fin juillet 2023, le nombre de mises en chantier de logements neufs était en baisse de 13,2 pour cent sur un an. La chute atteignait 22,8 pour cent pour les permis de construire, faisant craindre une forte diminution de la production de logements alors que les besoins sont loin d’être satisfaits. Ici ce sont les constructeurs qui sont menacés. Les Français qui ne peuvent plus acheter pour cause de hausse des taux (six dossiers sur dix sont retoqués, deux fois plus qu’en 2021) se tournent vers le marché de la location, où apparaissent des tensions inédites. Les professionnels faisaient état en août d’une hausse de 23 pour cent sur un an de la demande de logements à louer. Dans le même temps, les trois-quarts d’entre eux constataient une baisse des biens disponibles, estimée à 34 pour cent environ par rapport à 2022, une situation aggravée dans les grandes villes par le phénomène AirBnb.

Au Royaume-Uni il est courant d’emprunter à taux « mixte ». Après une période de deux à cinq ans de taux fixe, on bascule en taux révisable. En 2023 on estime à 1,5 million de ménages ceux qui verront passer le reliquat de leur crédit d’un taux initial souvent inférieur à deux pour cent au taux actuel du marché, supérieur à six pour cent ! Selon le think-tank Resolution, ceux qui devront renégocier leur taux vont voir leurs remboursements augmenter en moyenne de 45 pour cent, alors qu’ils font déjà face à une forte inflation alimentaire et à une flambée de leurs factures d’énergie. Les ménages à bas revenus sont logiquement les plus affectés. Les nouveaux emprunteurs ne se bousculent pas. La production de crédit a chuté de presque trente pour cent par rapport à la moyenne de 2022. Pour tenter de relancer la demande, plusieurs banques proposent d’allonger la durée de remboursement à quarante ans, contre 25 ans habituellement. La part des emprunts à 35 ans a déjà augmenté, surtout chez les jeunes. Le niveau des ventes en 2023 devrait retomber à son niveau de 2012, avec des prix en forte baisse. Ils ont chuté de 5,3 pour cent sur un an au mois d’août, à un rythme qui n’avait pas été observé depuis juillet 2019.

En Allemagne, au premier semestre 2023, le nombre de permis de construire s’est effondré de 27 pour cent en glissement annuel, pour tomber à 135 200 unités. Plusieurs promoteurs de toutes tailles ont déposé leur bilan cet été, compromettant l’achèvement de nombreux projets. Comme les 2 000 logements de Project Immobilien, répartis sur 118 chantiers. En cause, comme ailleurs en Europe et dans le monde, la hausse des prix des matières premières, les nouvelles exigences environnementales et l’envolée des taux d’intérêt. Pourtant le chancelier Olaf Scholz avait fait de la construction de 400 000 logements par an un point-clé de son programme électoral en 2021. Il a rapidement déchanté avec seulement 295 300 unités construites en 2022, un chiffre qui devrait tomber à 275 000 cette année, alors que le pays est en manque de logements, notamment dans les grandes villes où les réfugiés ont afflué. Les besoins sont estimés à environ 700 000 logements par l’institut Petzl. Dans le neuf, une série de mesures est attendue par les professionnels lors d’un sommet sur le logement fin septembre. Dans l’ancien on compte sur la baisse des prix pour relancer la demande. Début 2023, les prix avaient reculé de 6,8 pour cent sur un an, soit le plus fort décrochage depuis 2000. En juillet, la Bundesbank estimait que les prix de l’immobilier résidentiel étaient surévalués de vingt à trente pour cent, ce qui, compte tenu des diminutions déjà enregistrées, laisse craindre (ou espérer) entre 15 et 25 pour cent supplémentaires de baisse.

Les États-Unis se singularisent, comme souvent, en matière de crise immobilière. Celle-ci est annoncée depuis plus d’un an, pour cause de durcissement des conditions de prêt, de baisse du pouvoir d’achat et des craintes de récession. De fait, sous l’effet de la hausse des taux d’emprunt qui ont dépassé sept pour cent en août, le nombre de transactions a reculé de 2,2 pour cent en juillet en rythme annualisé. Mais les prix des logements augmentent ! Le prix moyen à l’achat des logements aux États-Unis, approche des 350 000 dollars, soit 1,4 pour cent de plus qu’il y a un an. Goldman Sachs prévoit une hausse des prix de 1,8 pour cent en 2023, au lieu d’une baisse de 2,2 pour cent envisagée au printemps. Cette situation est due à une pénurie d’offre de biens « anciens ». Dans un pays où les ménages sont traditionnellement très mobiles géographiquement, les propriétaires actuels ne veulent pas revendre leur appartement ou leur maison, car ils devraient abandonner leur crédit bon marché pour emprunter à un taux beaucoup plus élevé et préfèrent attendre avant de déménager, sauf urgence. Selon Goldman Sachs, on dénombre un million de maisons individuelles à vendre, contre près de deux millions avant l’épidémie de Covid. Tous logements confondus les biens disponibles à l’achat étaient également moitié moins nombreux en juillet 2023 qu’en juillet 2019. Les acheteurs potentiels se rabattent sur le neuf avec des ventes de maisons individuelles neuves qui ont grimpé de 31,5 pour cent en volume entre juillet 2022 et juillet 2023. Un engouement qui se traduit par une hausse de leur prix de cinq pour cent en un seul mois. Fait révélateur : Warren Buffett, connu pour sa sagacité, a annoncé mi-août une prise de participation de 814 millions de dollars dans trois constructeurs de maisons individuelles.

Logements réduits

La shrinkflation, ce phénomène qui consiste à réduire la quantité d’un produit pour pouvoir maintenir son prix et le rendre toujours accessible, frappe aussi l’immobilier. Depuis la hausse des taux, de nombreux acheteurs soucieux de voir accepter leur dossier de crédit, se sont résignés à acheter moins cher, ce qui implique soit un changement de localisation, soit une réduction de la surface du logement. En réalité, cette situation est bien antérieure à la hausse des taux. Il s’agit d’une stratégie permettant de faire face à la hausse des prix de l’immobilier depuis deux décennies.

En France, une étude menée sur la région Ile-de-France, la plus chère du pays, a montré qu’entre la décennie 2001-2010 et la suivante, soit 2011-2020, la taille moyenne des appartements achetés, qui se situait entre 65 et 77 m² selon les départements, passait dans une fourchette de 61,7 à 67,3 m². Dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine à l’ouest de Paris, la réduction est de respectivement de 9,3 et 9,7 m². Même évolution pour les maisons, où la diminution de surface se situe entre 16 et 19 m² dans la plupart des départements autour de Paris, pour atteindre un intervalle de 120 à 133 m².

Aux États-Unis, la diminution de la taille des logements a suivi avec quelques décennies de retard celle de la taille des voitures. Entre 2018 et 2023 la surface moyenne de la maison individuelle a baissé de dix pour cent pour rendre les biens plus abordables, dans un pays qui compte un pourcentage élevé de bas salaires (inférieurs aux deux tiers du salaire médian). Avec un quart de la population active concernée, c’est le plus élevé des pays du G7. Mais il reste de la marge : si on voit de plus en plus de maisons construites dans une fourchette de 110 à 140 m², la taille moyenne est encore de… 225 m².

Georges Canto
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