Tzeedee

Astérion musicien

d'Lëtzebuerger Land vom 09.11.2018

Le 18 octobre dernier Fränz Hausemer présentait au Mierscher Kulturhaus son dernier projet musical, l’album Songs from the labyrinth de sa formation Minotaure du Nord. L’auteur de ces lignes a loupé l’évènement, toutefois, il convient d’étudier le disque en lui-même, disponible depuis lors. Guy Frisch à la batterie et aux percussions, Benoît Legot à la section basse et André Pons-Valdès aux violons, prêtent ainsi tous trois main-forte à Fränz Hausemer, au piano, à la guitare et au chant. Le titre du projet renvoie évidemment au mythe du minotaure, créature mi-homme mi-taureau, Astérion pour les intimes, et plus particulièrement à une nouvelle de l’écrivain argentin Jorge Luis Borgès intitulé La demeure d’Astérion. Ce texte, lui-même inspiré d’un tableau de George Frederic Watts, dépeint une créature plus sensible qu’à l’accoutumée, plus complexe et plus attachante, en somme, plus humaine. Astérion est tué par Thésée à la fin du texte, en s’étant à peine défendu.

La pochette du disque est en fait une photographie en noir et blanc de Sébastien Grébille. Ce dernier, violoniste de profession et photographe, s’est spécialisé dans la prise de vue de sites « intemporels et surréalistes ». Sur l’image en question, la mer excessivement calme ou bien la plage, on ne sait pas trop. Cinq petites habitations rondes laissées à l’abandon, et un ciel présentant des nuages menaçants. À l’intérieur, d’autres photographies plus classiques des musiciens par Philippe Kralj. Cet opus se compose de dix titres, inégaux mais variés, pour cinquante minutes de musique folk-blues en langue anglaise, française et luxembourgeoise. L’introduction, Violence, est une efficace entrée en matière. Du blues-rock endiablé, tantôt brumeux, tantôt éclatant, notamment lorsque quelques notes funky à la guitare électrique viennent se dandiner. « Teach me the science of the bones that break » implore le chanteur, d’une voix grave, cassé mais paradoxalement puissante.

Le second titre, Gods and men, est en quelque sorte une invitation au voyage. Des tsiganes, des indiens, des musulmans, une fille de l’Est et ses Balkans. Le titre offre aussi un joli dialogue entre la contrebasse et la batterie. S’ensuit Je me parle et sa structure répétitive. Le violon vient réajuster l’ensemble. Arrive ensuite Patras, plus long morceau du disque. Fränz Hausemer contre l’histoire de Tarek, un jeune migrant, un exilé du Moyen-Orient. La cinquième pièce Things and dreams est une musique plus que classique. Un duo piano et voix dans le plus simple appareil. Un très court interlude de cordes pincées par André Pons-Valdès précède Better off, qui en est la continuation. Le piano vient s’agripper pour un rendu qui lorgne du côté du jazz.

Le huitième morceau, répétitif là encore, est consacré au mythe d’Icare. Le thème du labyrinthe est donc mis en avant. Labyrinthique c’est l’adjectif qui correspond d’ailleurs le mieux à l’ambiance vacillant entre le mystique et l’oriental. On s’y perd avec plaisir. Le chanteur donne de sa voix et la transforme avec un effet de réverbération. Ikarus est donc la complainte d’un minotaure, les lamentations d’un Astérion musicien. La troupe interprète ensuite une reprise assez somnolente de 3 Kueben de Marcel Reuland que Guy Schons avait magnifié, donnant à ce typique texte luxembourgeois un certain panache. La conclusion du projet, Porte, débute par un bruitage de forte averse. L’ambiance est posée. L’usage de la pluie en chanson est une grande tradition qu’on a pu retrouver aussi bien chez Amy Winehouse, Eminem, Nick Cave, Mathieu Chedid et chez les Doors évidemment. Cette dernière partie du disque ne convainc pourtant qu’à moitié. En résulte cependant un bel objet, professionnel et maitrisé. Songs from the labyrinth n’est que la première pièce d’un édifice en pleine construction. L’identité est présente, il ne reste qu’à la développer.

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Kévin Kroczek
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