Photographie

Vent debout

d'Lëtzebuerger Land du 11.11.2022

Ostende a été une cité balnéaire huppée. Là où le premier roi des Belges, Léopold, passait les étés et dont le fils fit « la reine des plages, la plage des rois » On cite Alain D’Hooghe, qui le premier, a exposé les photographies en couleur de la série d’Yvon Lambert en 2021 à Bruxelles à la box galerie et qui postface un catalogue qui contient 91 images. 34 seulement sont exposées au Projects Room Nosbaum Reding.

Le titre de l’exposition bilingue, est repris de l’ouvrage, qui est un dialogue entre les photographies d’Yvon et les « cartes postales » écrites par Romain Lambert dans Conversations du bord de Mer – Oostende- Gespreekken aan zee. On n’imagine pas dire autrement que « Oostende », à la manière du regretté Arno, où roule du rocailleux des Flandres dans la langue française. Oostende donc.

Alex Reding n’expose plus que rarement de la photographie et encore moins dans ses salles de la rue Wiltheim plutôt réservées à des projets expérimentaux. Les visiteurs, qu’ils soient des fans d’Yvon Lambert ou pas seront-ils surpris ? Il y a quelques prises de vues que l’on pourrait appeler ses invariants – les jambes de la fille qui dépassent de la maison sur le trottoir, le couple qui s’embrasse sous le logo d’une banque. Soit le « cliché » de la prostituée, la ville contemporaine sans identité, mais aussi un magasin tellement hors du temps qu’il semble à peine pensable qu’il existe.

Yvon Lambert force le trait pour que l’on ne puisse pas voir les choses autrement qu’à sa manière rebelle. Ses prises de vue de Roumanie (Retours de Roumanie, 2004) ou de Naples (Naples en hiver, 1993 et NAPOLI, 2011) montrent, d’une manière que l’on pourrait croire pittoresque, l’injustice sociale et la misère ou le dur labeur comme dans les Derniers Feux du haut fourneau B à Belval (1997), à l’éclairage dramatisé. C’est encore brûlant, plein de sueur, mais la fin.

Lambert ici, se tient en général à plus de distance. D’abord, il y a la mer. C’est un espace immense, ouvert. C’est du bleu. Celui du ciel et celui de la mer. C’est du blanc. Celui des nuages et celui de la crête des vagues. Les formats ne sont pas très grands : 47 x 34 cm et 64 x 48 cm. Deux sont verticaux, ce qui limite l’horizon comme un tableau dans lequel Lambert voudrait enfermer l’immensité. Dans le format horizontal, il y a quelques petits personnages qui sautent dans les vaguelettes. Ce sont des balises visuelles. Quand le sable et la marée se rencontrent en serpentin, Yvon Lambert accroche l’image à la géométrie des cabines de bain et de la jetée.

Montrées par binômes ou en triptyque à l’horizontale, les sujets photographiés provoquent d’étranges rencontres où les lignes se bagarrent : ainsi l’horizon terre-mer et un étrange assemblage construit d’une façade. Il y a aussi deux photos à touche-touche au-dessus et une en-dessous, ce qui forme un triangle. Des photos magnifiques auraient mérité d’être isolées, comme celle du tableau dans la photographie. C’est la vitrine de la boutique de souvenirs, où Madame Ensor vendait des coquillages et que James Ensor peignait à l’étage au-dessus.

C’est l’histoire d’Oostende, mais Yvon Lambert enferme le visiteur dans ses assemblages, alors qu’on sait que « c’est du Yvon Lambert » : la plage séparée de la promenade par un coupe-vent de verre où un oiseau apporte comme un point sur le « i » ironique. Les pare-vent, en verre martelé translucide et au bord arrondi en avant-plan et le rythme répété du garde-corps 19e en métal noir de la promenade derrière. La plage à travers le pare-brise embué de la voiture du photographe un jour de pluie…

La « distance juste », que l’on trouve dans le travail d’Yvon Lambert – sur une décennie, pas moins – c’est les nombreuses prises de vue par des fenêtres. Comme les vitres ouvragées 1900 d’une brasserie qui a échappé à la laideur du front de mer des promoteurs. On sent aussi que Lambert aime. les « gens » qui se divertissent encore au Casino-Kursaal obsolète. Dans terres fermes (CNA, 2010), consacré au Nord du pays, il respectait aussi ce qu’on moque parfois…

Mais pourquoi tant de reflets d’images dans les fenêtres ? On dirait un tic d’écriture. À feuilleter le catalogue Conversations du bord de Mer – Oostende- Gespreekken aan zee, on aurait aimé voir sur les murs de la galerie plus d’images du port et les bateaux de pêcheurs rouges ou de l’architecture déchue, comme celle de l’hippodrome.

C’est l’Ostende d’Yvon Lambert le mélancolique, comme ce café filtre posé sur un journal où l’on reconnaît Stefan Zweig et Joseph Roth, définitivement d’un autre monde, disparu. Cette composition n’est pas si éloignée de ce qui menace notre époque.

Conversations du bord de Mer – Oostende- Gespreekken aan zee d’Yvon Lambert, est à voir jusqu’au 19 novembre au Projects room de la galerie Nosbaum Reding à Luxembourg

Marianne Brausch
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