Architecte de la victoire

d'Lëtzebuerger Land vom 15.09.2023

Adrien Wira a dix ans. Dans un magasin de sport de Metz, une histoire d’amour débute avec l’acquisition de sa première paire de baskets iconique : la Jordan 6. Comme tous ceux qui ont grandi dans les années 90, il est nourri aux exploits des stars de la NBA ; et il a déjà l’œil. « J’avais remarqué que le modèle enfant n’avait pas les mêmes finitions que celui pour adulte », raconte le jeune quadragénaire, qui exerce désormais son « dreamjob » : footwear designer. Son studio est installé au 1535° Creative Hub de Differdange, où se croisent des entrepreneurs de la tech, du jeu vidéo, du design, de la mode... C’est là qu’il nous accueille, confortablement installé dans un canapé, une canette de boisson énergisante à la main. Il en a bien besoin : designer indépendant, il multiplie les projets, essentiellement pour des marques de sport. À son actif, des créations pour Hummel, Brooks, Anta, Balmain ou encore Adidas. C’est au sein de la marque aux trois bandes qu’il a fait ses armes : après une fac d’arts plastiques à Metz puis un master en design produit au Creapole à Paris, Adrien frappe à la porte de la firme basée près de Nuremberg. Il y décroche un stage, et y restera finalement neuf ans. « J’ai surtout travaillé au sein des pôles Performance et Kids, où j’ai énormément appris techniquement parlant, indique-t-il. J’étais à l’école de la rigueur, et j’ai conservé cette mentalité ».

Une exigence associée à une bonne dose d’imagination qu’Adrien met au service des disciplines les plus diverses, du football au cricket. Il nous montre une paire de chaussures d’escrime qu’il a créé récemment, à la forme audacieuse, avec une touche de couleur. « Je voulais que les escrimeurs puissent avoir une chaussure adaptée à leur pratique, avec le style en plus, glisse-t-il. Chez moi, c’est la fonction qui influence la forme avant tout ». Lors de ses voyages dans les usines avec lesquelles il collabore, en Europe et en Asie, il se familiarise avec les processus de production car « faire rêver avec un dessin sur ordinateur ne suffit pas ». Injection de pièces en plastique, cuirs, semelles EVA plus légères et plus souples que le caoutchouc n’ont plus de secrets pour lui.

Au milieu des modèles qu’il a réalisé, exposés sur le mur de son studio, on remarque une figurine de « mecha », ces robots japonais qui font partie de ses sources d’inspiration. « La science-fiction, le jeu vidéo, le design automobile mais aussi la nature m’inspirent, au même titre que l’architecture ou le design produit en général », liste Adrien. Attaché à son indépendance, il lance en 2019 sa propre marque, Sole Architects, pour laquelle il développe la 1.618. Un nom faisant référence au nombre d’or, pour une paire de chaussures frappée d’un signe alchimique et du symbole de l’Oeil omniscient. « Je suis assez branché ésotérisme aussi », sourit-il, en expliquant ne pouvoir consacrer qu’une petite partie de son temps à sa marque, tant les projets de consulting s’accumulent. « C’est un peu frustrant, mais Sole Architects, qui s’adresse surtout aux fans de
sneakers, m’apporte de jolis moments : récemment, une boutique de Mexico m’a envoyé une photo où on voyait une quinzaine de personnes faire la queue pour acheter mes chaussures ».

Adrien est lui-même un « sneaker addict », mais il se soigne. Il a chez lui une soixantaine de paires, surtout des Pump, Air Max et autres Torsion, « les modèles qui me faisaient rêver quand j’étais ado ; ça me suffit, précise l’entrepreneur. Maintenant que c’est mon métier, je dois avoir plus de recul, me détacher un peu de la mode ». Ses envies ne manquent pas : développer Sole Architects et y apporter « un peu plus de folie », lancer d’autres marques consacrées au lifestyle et aux enfants, s’ouvrir à d’autres secteurs ; il vient de décrocher son premier contrat pour le design d’accessoires de mode. « J’ai été un peu dirigé automatiquement vers le footwear du fait de mon expérience, parfois j’ai envie d’autres choses... » confie le designer, dont l’objectif ultime est de créer une chaussure de basket. Une façon de « boucler la boucle » pour ce passionné hyperactif toujours à la recherche de nouveaux terrains de jeu.

Benjamin Bottemer
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